Squarepusher – Numbers Lucent



Chronique d’une montée annoncée






22h30 :

Les chaussettes ne sont pas de la même couleur. Pas rasé, on se rassure en se persuadant que cela cache les cernes. Une dernière bière avalée d’un trait. Les clefs de l’appart introuvables, logées avec la télécommande et une fin de saucisson entre les coussins du canapé. Je m’énerve. J’ai rendez-vous. Il y a une demi-heure. Donc en retard. Course dans les escaliers, la voisine gueule contre son gamin, qui vient de décapiter la baguette avec la lourde porte de l’ascenseur.
Bagnole en vue, Pv bien callé sous les essuie-glaces, on se torche mentalement avec. Un pote m’attend dans un bar guindé à la con, où le Perrier est aussi cher qu’une auto de collection. Je fais la gueule, mais je prends sur moi, c’est l’histoire d’une demi heure maximum, le temps de le convaincre de s’arracher de ce bouge doré, pour fouler des terres nocturnes plus escarpées.


















23h05 Zounds Perpspex :

Accoudé au bar, Alex fait le beau, son martini dans une main et la barmaid dans l’autre, tentant de renverser cette dernière avec une prose passablement érodée par l’alcool. Il ne traine pas. Je commande une bière (on ne se refait pas), ce qui provoquerai presque l’hilarité du serveur, me disant non sans dédain qu’il “va voir si je peux vous trouver ça”. Mon pote, à peine échaudé d’avoir été traité de ringard par la demoiselle, fonce s’enfermer aux chiottes pour pisser les premiers litres de casse-poitrine. Je m’emmerde, le cul posé sur ce beau canapé rouge. Alors je bascule la tête, et je tends l’oreille. La musique est étonnante, retient mon attention, là où l’établissement est normalement plus coutumier de la compile made for ascenseur.
Des synthés Dance, un peu vintage, s’enfilent sur une mélodie vaguement jazzy, me rappelant le titre de quelqu’un, sans pouvoir poser un nom dessus. Le beat est drum’n bass, assez enlevé, mais bien en retrait, évitant donc de choquer les clients autour de moi. La montée du milieu me redresse, je reprends une gorgée, Alex semble s’être noyé dans les chiottes. Un morceau qui pourrait être passe partout, mais qui peut se prévaloir d’une classe non négligeable. Parfait pour butiner en costard autour de consommations hors de prix, parfait pour se marrer dans une caisse pourrie avec des amis… la dualité du morceau est intéressante, exacerbée, par ses claviers un peu pute et cette basse free-jazz plutôt sérieuse. Alors je me laisse absorbé par la musique, le nez dans mon verre, à attendre.
Les gens me perçoivent comme un mec plein d’assurance, un peu distant mais cool.






23h35 Paradise Garage :

L’autre zozo se fait attendre. Trois solutions : il a du se faire intercepter par une connaissance / Il retente le coup avec la barmaid / Il s’est étouffé avec l’essuie-main en tentant de distraire un nez plein de coke. Les verres se multiplient sur ma table. Une demoiselle habillée d’un léger tulle bleu a voulu me taxer une clope. Un mec suant aux yeux exorbités aussi. L’atmosphère se réchauffe. La musique se pare d’un écrin plus rythmé, toujours mélangé de synthés rave old-school et de lignes un peu jazzy. Je remue la nuque, je me sens bien, j’ai envie de claquer des doigts et de taper discrètement en cadence sur la table. Mais l’alcool commence son travail de sape. Par trois fois, pendant le morceau, je me tape des vertiges qui me surprennent, comme si j’étais aspiré dans un gouffre. Surprenant, mais ultra plaisant.
Je plane, je perds un peu le fil du rythme, à moins que ce soit ce dernier qui s’emballe. Difficile de dire si le morceau est lui-même parasité par ces ellipses célestes, ou si c’est mon état qui déteint sur le panorama sonore. J’ai envie de fermer les yeux et de me laisser aspirer quand la boucle cristalline refait surface.
Les gens me perçoivent comme un mec amical et convivial, mais rêveur et passablement cramé.






00h10 Heliacal Torch :

Apres de longues tractations, ensevelies par du liquide financé par mes soins, j’arrive à traîner mon pote dehors. Pas très loin, quelques rues à traverser, pour passer dans un endroit qui passe de la musique électro un peu plus sauvage. L’une des seules caves à encore passer des vieux Warp ou Rephlex, sans distinction, au milieu d’autres bombes un peu plus dancefloor. Les gens dansent, parlent, boivent, se frôlent dans une obscurité quasi-totale réconfortante, à peine mise à mal par les assauts de décibels. Je manque de tomber dans les escaliers, file au bar, en traînant l’autre sacoche, qui rechigne en maugréant dans son col de chemise, trouvant le son “trop glauque” , avec ces bleeps acid et ce clavier un peu grave, martyrisé par des beats irrespectueux d’une quelconque bienséance rythmique.
Ca fuse, drum’n bass épileptique, je me sens revivre, les vagues de synthés super chelou me renversent peu à peu, je tente de rester stable, même si l’envie de me transformer en zébulon est forte. On s’en envoie d’autres derrière la glotte, les perspectives changent peu à peu, la salle bascule dangereusement. La conscience s’étiole, on alterne excavations sur la piste de danse et mode “pied de grue” contre le bar.
Les gens me perçoivent comme un mec joyeusement torturé qui a envie de danser en riant pour effacer ses idées noires.






01h20 Star Time 1 :

Je danse depuis pas mal de temps, étreignant mon verre comme si ma vie en dépendait. Les beats acérés me percent la gueule, me soulèvent, se transforment en coups de couteaux, le tout étant sublimé par l’ébriété, accrochée à mon cerveau comme une tique sur la queue d’un cheval. Je pense bouger comme un dieu, mais je ressemble plus à une marionnette qui verrait son propriétaire tenter d’en démêler les fils. Je ne sais pas si c’est la soif ou l’envie de pisser qui me fout une gifle, mais l’état d’euphorie se retrouve balayé par une vague de mélancolie. Je m’arrête de gesticuler, et me pose près d’un mur. Observer la foule danser, sauter en hurlant de bonheur me rend presque triste. Une solitude écrasante semble émaner des sourires. Tous ensemble dans une pièce, mais abandonné, esseulé dans son trip, dans son délire. Etre ensemble pour se rassurer, mais ne pas penser aux autres. Ou se mêler aux autres pour tenter de ne plus penser à soi. Les rythmes qui me parviennent continuent de me bastonner, sans parvenir à me défaire de cette mélopée tristounne qui flotte dans ma tête.
J’en viendrais presque à soupirer, mais une autre connaissance me tire violemment par le bras, en me gueulant dans les oreilles qu’il faut foncer dans sa voiture pour nous emmener dans un coin de folie. Ca gerbe, ça se marre, ça hurle dans la rue, ça traumatise les riverains. Dans le tacot, sur le siège arrière, je tente de dompter les volutes de l’alcool. J’ai l’impression d’être dans un hovercraft. La béatitude frise désormais le néant et la joue collée contre une vitre glacée, je chantonne dans ma tête une petite ritournelle candide et désabusée. J’ai laissé les rythmes dans le nightclub de tout à l’heure et tente de juguler tous ces souvenirs moroses, écrasés par les rires de mes deux potes, hilares à l’idée de prendre un dos d’âne à toute vitesse. Suspensions niquées. Les gens me perçoivent comme un mec triste, même planté dans une fête de folie.






03h00 Arterial Fantasy :

La soirée ne se déroule plus comme un film, seule une succession de diapositives subsiste. Avec de gros trous noirs entre les images. Habités par des odeurs. De relents vomitifs, de clope, de sueur. Par des sensations. Le béton, les vibrations, les infrabasses, le grain d’une peau super douce. Par des images. Lumières affolées, lasers verts qui brûlent la rétine, silhouettes noyées dans une purée de pois, des gens qui te hurlent dessus, une simili-overdose.
La musique évidemment. Beaucoup plus agressive, Drill’n bass défoncée par des arcs de synthés orageux, presque psychotiques. Je suis dans une cave au milieu d’une centaine de gens, à remuer comme un dingue, à m’écarteler en tentant de suivre ce rythme crevant. Aucune envie de plaire à l’équilibre. Juste sauter, rire, tourner comme un fou, oublier, jubiler sur ses beats explosés, affolants, vertigineux. J’ai l’impression d’être dans une rave placée dans une machine à laver. D’être sauvagement piétiné par la musique. Trop raide, sans pouvoir me rappeler d’un quelconque psychotrope, ou d’un serveur à la main lourde sur l’alcool. Je perçois Alex, il se marre, puis se prend une bouteille en pleine tronche. Il mugit, se tortille et disparaît dans le brouillard.
Les gens me perçoivent comme un valseur fou frôlant l’épilepsie






04h15 Illegal Dustbin :

J’ai du tomber plusieurs fois par terre. J’ai perdu ma veste, mon oeil me pique horriblement, obstrué par le sang coulant de ma tête. Je pue la bière, cette dernière formant une couche entre ma peau et mon tee-shirt. Syndrome du verre renversé. La foule s’est étiolée, il ne reste que quelques cinglés glissant sur de la gerbe, frisant l’anévrisme à force de faire du headbanging sur des frises déstructurées. Les cerveaux sont atrophiés, les pupilles éclatées. Je chute, glisse, hurle, tremble. Me remet à danser, vacille, plonge, me cogne. La salle tourne comme un manège, ma vision ne se synchronise plus avec les mouvements de ma caboche. Un vrai zombi. Le dj nous achève, hurlant à la mort dans son micro des “AAAAARE YOUUUUU DOWN FOR THE UNDERGROUUUUUUUNNDDD, PUT THE MUSIC IN THIS MOTHERFUCKIN’ PLAAAAACE” sur un morceau completement hystérique, flirtant avec le Gabber ou la Noise. Je me retrouve pilonné par des rythmes hardcore, des murs de bruits blancs, des saturations qui détruisent tout, annihilant toute notion de musique, abolissant la notion de temps et d’espace.
J’ai l’impression d’être en train de mourir, je me retrouve dans un tourbillon de rage, dans un ouragan frénétique, le paroxysme d’un passage à tabac musical. Un acouphène crisse dans mon oreille, le bruit et la violence du morceau créent un voile noir sur mes yeux, je perds pied, tressaute en tentant de suivre ce rythme de terroriste, en poussant quelques râles avec une voix cassée, sans savoir si je réussi encore à me tenir debout. Plus aucune sensation, j’ai laissé mon corps au vestiaire, et mon esprit semble écrasé par la musique, jeté contre les murs, broyé par les enceintes. Je me traîne en fait sur le sol, au bord de l’agonie, noyé dans ma bave, paralysé par cet immeuble de sons décharnés qui s’écroule sur ma gueule.
Les gens me perçoivent comme un cadavre rongé par la came, atomisé par une crise d’hystérie, ils me marchent dessus.








14h50 :

Un marteau piqueur dans la tête, le coeur au bord des lèvres. J’ai l’impression que l’on m’a arraché les yeux et les oreilles avec un piolet. Impossible de savoir comment je suis rentré chez moi. Je rampe jusqu’aux chiottes, tente de contrôler mes spasmes puis file prendre une bouteille d’eau. La lumière du jour me flingue, les talons de la voisine claquant sur le parquet du dessus sont similaires à des bombardements.
En essayant de rembobiner la soirée, du début peinard au final apocalyptique, je suis convaincu peu à peu qu’elle cristallise le meilleur moment passé avec Squarepusher, depuis un bail. Depuis son Dou you know Squarepusher ? même, si l’on excepte son magnifique ep Venus o.17. Le mec m’étrangle enfin de nouveau, me surprend, m’emporte, me passionne, revenant à ses amours Drum n’bass secs et ludiques, comme on pouvait en trouver sur Big Loada.

Il faut d’ailleurs préciser que ce Numbers Lucent, n’a strictement rien à voir avec Just a souvenir, malgré un design très ressemblant et survenant à peine quelques mois après. Ici, seuls les rythmes épileptiques sont rois, seuls les synthés gras sont présents, la basse tressautant comme jamais. Beaucoup moins claudiquant et rétro, adieu les guitares un peu dégueux. Et pas vraiment de titre commun, le tracklisting étant indépendant de l’album tout juste sorti.

Pris séparément, les moments de la soirée ne paient pas forcément de mine, mais le tout compose une montée d’une intensité jouissive, que l’on doit écouter d’une traite, partant sur des sphères tranquilles et old-school, pour finir dans un gouffre de violence presque assourdissant, chose un peu délaissée par l’anglais depuis des années. Enfin une sortie sans temps mort, réussie de bout en bout.


Sans compter que la soirée m’a coûté, en tout et pour tout, 9 euros, et que le tout est dispo en vinyle comme en Cd. Un vrai bonheur.











6 Titres – Warp
Vinyle et CD
Dat’










  1. carrefour Says:

    usually posts some incredibly intriguing stuff like this. If youre new to this site

  2. Canada Says:

    that may be the finish of this write-up. Here youll uncover some web-sites that we think youll enjoy, just click the links over

  3. Moroccan hash Says:

    below youll obtain the link to some web-sites that we assume you’ll want to visit

  4. Bubble hash Says:

    that would be the finish of this article. Right here you will find some web pages that we assume youll value, just click the hyperlinks over

Leave a Reply