Fuck Buttons – Street Horrrsing



Noise, Drone, Angels & Rock’n Roll






On parle beaucoup de Bristol ces temps ci. Portishead, étendard musical de la ville anglaise, avec Massive Attack, sort un nouvel album fin Avril. (This can’t be true !) La bande d’ados de la serie Skins, sortie en Dvd il y a quelques jours, tente de désamorcer le malaise ambiant en prenant drogue sur drogue, errant dans les rues de Bristol. Cette dernière inspire, semble canaliser le spleen dans toute sa splendeur. Comment serait le visage du Trip-hop sans ces rues pas si grises ?


Mais ce n’est pas le point qui nous intéresse ici. On peut même affirmer que les Fuck Buttons sont loin d’être écrasés par le lourd héritage musical de leur bourgade. Ils excelleraient même dans l’annihilation de la bienséance sonore, tout en plongeant le tout dans un écrin mélodique et superbe. Personnellement, je ne les connaissais ni d’eve ni d’adam, tombant un peu par hasard sur le disque en magasin. Ce Street Horrrsing est d’ailleurs le premier album du groupe, simplement précédé d’un Ep tiré à 3 exemplaires. Même si pas mal de médias anglais semblaient attendre la bave aux lèvres cette première galette.

Bienvenu dans ce qui pourrait être le voyage de l’année.


















Cela va paraître con, voir téléphoné, mais j’ai su que ce Street Horrrsing allait être une petite merveille des la deuxième minute de Sweet Love For Planet Earth. Deux minutes, rien de plus. C’est suffisant pour se dire que la petite mélodie fragile est sublime. Qu’on ne pouvait pas trouver mieux. C’est suffisant pour se sentir étouffé, impressionné par cette gigantesque saturation, qui débarque progressivement, viciant littéralement les petits bleeps cristallins flottant dans vos tympans. Ces deux premières minutes, c’est superposer la pureté absolue avec un chaos qui gronde en arrière plan. Qui attend son heure avant de tout ravager. C’est imaginer un petit enfant se baladant sur un tapis de neige, blanc comme le paradis, avec en ligne d’horizon une énorme entité sombre comme la mort, ouvrir lentement sa bouche pour, à terme, tout engloutir. On assiste à la progression de cette dualité, les yeux écarquillés, presque pétrifié par le spectacle qui se déroule dans nos oreilles. Le sublime persiste, rajoutant de la sensibilité en greffant un clavier aérien pour surplomber la mélodie. La saturation, le grondement s’amplifie. Tonne, résonne, sans éclater. Adopte même un certain contour musical. On surveille sa proie, on ne la fait pas fuir. Une voix éclate. Le chanteur du groupe hurle, crie, s’arrache les viscères. Les vocaux nous sont littéralement crachés à la gueule. Aussi violemment qu’un bon groupe de Hardcore-screamo. Mais la phase de “chant” semble tellement lointaine qu’elle ne nous agresse pas. On prend cela comme un avertissement, comme un homme, qui crie au loin sa détresse de voir autant de beauté se faire engloutir par ce maelstrom lent, sourd, gigantesque.

La musique expérimentale devrait toujours être comme ce titre. Tout en tutoyant les limites de l’acceptable musicalement parlant, elle n’a jamais été aussi agréable. Apaisante. Ce morceau happe littéralement pendant ses 10 minutes. C’est beau. C’est juste trop beau. Il pourrait y avoir le feu dans votre baraque que vous n’auriez pas tiqué une seule seconde. Le monde s’est arrêté de tourner pendant 10 minutes. On a été déconnecté du monde réel. Pour planer dans un rêve fait de saturations, de nappes angéliques, de hurlements étouffés, de mélodies pures comme le diamant.










On entend les debuts de la seconde plage Ribs Out, mais on reste scotché sur l’essai précédent. Impossible de s’en défaire. Ce court morceau tribal, que l’on croirait sorti d’un Gang Gang Dance, sert donc de marche pied. D’un repos presque nécessaire. Pour bien encaisser le retour au monde réel. Les morceaux s’enchaîneront tous de la sorte pour le coup, s’emboîtant les uns dans les autres malgré des atmosphères parfois différentes. Comme pour passer d’une fresque à une autre sans heurt, sans silence, sans vide. Le silence semble gêner les Fuck Buttons. Et si l’on excepte cet essai, tous les titres de Street horrrsing durent entre 8 et 10 minutes.
C’est dans sa conclusion qu’une saturation de plus en plus dense se fait entendre, débouchant sur un Okay, Lets Talk About Magic clairement plus “Noise” que ces deux camarades. La boucle, ultra rêche, tourne en boucle jusqu’à overdose, laissant à peine le chant pour les vocaux toujours aussi hurlés et pourtant effacés de Benjamin. Comme si le mec s’évertuait à crier dans un mégaphone à 3 km de nous. Changement de fréquence, la saturation s’intensifie, forme une vague, presque nauséeuse, un mur de “son”, entre le bruit blanc et le grondement d’un dragon. Un rythme tribal s’installe, emporte le tout dans une transe sereine, mais militaire. Oh no ! Saturations… percussions. Va-t-on être abruti au bout de 3 minutes comme avec Black Dice ?
Bien au contraire. Tout est doucereux. Le bruit vous enveloppe, vous cajole, vous effleure. Malgré sa masse considérable, il ne vous violente pas. Il s’insinue dans vos synapses, il vous bouscule sans vous faire tomber. Je ne sais pas, imaginez Merzbow vous chanter une berceuse. La saturation est sur la gamme parfaite. L’équilibre parfait. Ni trop sourd, ni trop aigu. Ni trop violent, ni trop effacé. Fuck Buttons tient là la saturation parfaite. Créé la “masse” sonore parfaite.

Mais arretons de parler Magie, fonçons dans la chambre à coucher. C’est ce que propose Race You To My Bedroom / Spirit Rise, qui déboule avec un mur de son encore plus monstrueux que celui qui habite le titre précédent. Toujours aussi sourd et serein, il n’en est pas moins aussi imposant que la montagne elle même. Levez la tête, imaginez le plus grand des géants, qui tend vers vous une main accueillante. Vous vous approchez, mais vous flippez dur. C’est la même chose en abordant ce morceau. On se demande si tout ne va pas nous exploser à la gueule, nous renvoyant au pire des disques de Harsch Noise. La main du Gulliver approche, et, au lieu de nous écraser comme une merde, se permet juste de nous tapoter gentiment la tête.
Mur de son, larsen ahurissant certes, mais orgue mélancolique qui perle en fond. Qui tente de se faire entendre au milieu de ce Chaos sourd et maîtrisé. Merzbow qui remixe M83. Les vocaux scandés reviennent à la charge, paraissant encore plus désespérés, comme le dernier des appels radio avant la fin du monde. On hurle, on hurle! La météorite va bientôt impacter la terre. On court dans tous les sens, sans but apparent, comme de pauvres lemmings apeurés. La saturation gagne encore du galon. Presque inimaginable. Mais l’orgue, funeste, superbe, vaut aussi se tailler la part du lion. Faire un dernier baroud d’honneur à l’humanité avant son anéantissement total. Orgue VS mur de son = combat de fin du monde.









On pense qu’il ne peut y avoir rien d’autre après un tel tableau. Pourtant le retour à “l’humain”, au concret, va se faire d’une façon progressive. Alors que le marasme faiblit, un rythme binaire, House Techno, va se faire entendre. Pilonne à l’horizon, avant de devenir chef d’orchestre de Bright Tomorrow. Ce morceau, c’est la pièce électro du disque. Alors que les autres tendant surtout vers un Rock Drone progressif (ok la frontiere est mince), ici, les teintes sont clairement électro. Mais l’électronique rêveuse. Celle qui, sous le beat appuyé, laisse perler un synthé-orgue clair, mélancolique à en chialer. Et un sample, une nappe qui tourne à l’infinie.

C’est simple, le mimétisme est presque flagrant avec les travaux de The Field, ou mieux, de M83 période Dead cities, Red Seas and Lost Ghost. La musique qui vous donne envie de courir les bras écartés dans un champ de fleurs, pied nu, en souriant jusqu’aux oreilles. Celle qui vous vole le coeur avant que vos jambes ne s’évaporent. Celle qui vous transporte dans un rêve extatique. On court dans l’herbe, on regarde les nuages, on tient la main de la personne que l’on aime en riant, en hurlant de joie.
Mais le sol se dérobe, et l’on retombe en enfer, dans un gouffre sans fin. La déchirure est aberrante, on reste coi, pétrifié par cette rupture impensable, presque sadique après tant de beauté. La plus acérée des guitare, ou la pire des machines nous arrache un tsunami à raser un quartier entier. Encore une fois, rien d’agressif. Mais le tout est tellement massif, tellement gigantesque, que le changement est vécu comme si l’on se prenait un train en pleine gueule. L’orgue redouble de puissance. Veut se faire entendre. Peut être pour tenter de cacher les hurlements de l’autre zozo et son micro, qui repasse en mode crise d’hystérie à 10km de là. Le tout finira dans une grâce enchanteresse et abominable. On vient d’assister à un petit miracle de 8 minutes. Non mais sérieusement, c’est quoi ce titre ? Ca sort d’où ? Faut il à se point aimer la beauté pour oser la télescoper avec un chaos presque nihiliste ? Cette perfection, cette sensation, ce plaisir d’être transporté dans les nuages avant de faire une chute traumatisante est elle concevable par des musiciens ?

Colors Move, conclusion de ce Street Horrrsing, va repartir sur les chapeaux de roues avec un lit sonore ahurissant, presque trop “massif”, pour y greffer un rythme tribal endiablé, et un synthé encore une fois bien triste, mais toujours épris d’un espoir, d’une liberté, s’élevant peu à peu dans les air, s’extirpant de ce marasme Tribal Drone. On prend une église, on y place une bande d’incas tétanisés par les percussions, des animaux qui hululent aux gres des variations et environs cents groupes de Metal, qui jouent la même note de guitare en même temps : vous avez le morceau.










Je ne sais que dire. Ce disque des Fuck Buttons n’est pas “super bien” ou “plaisant” ou “nul”. Il est juste hors compétition. La mandale est énorme à l’écoute de ce disque. Il cristallise tout ce que je préfère dans la musique expérimentale. Il représente presque ce que devrait être la musique expérimentale. Quelque chose de profond, de sublime, de violent. Sans jamais être harassant. Quelque chose vous arrache le coeur, qui vous démonte la gueule, mais toujours sous anesthésie, toujours avec cette impression de flotter au dessus du monde, de surplomber le conflit, de rire aux grés des chocs monstrueux qui se produisent en contrebas. C’est M83 qui rencontre Merzbow qui rencontre les Pink Floyd.
Ce disque pourrait être l’oeuvre majeure d’un genre mineur. Peut etre parce qu’il est tourné vers quelque chose de foncièrement moins radical que les racines sur lesquelles il prend pied. On pourrait parler de disque grand public, alors qu’il serait abhorré, honnis par 99% de la population normalement constituée.
Mais cela ne serait pas rendre grâce à la quasi perfection des arrangements, de la gestion des montée en puissance, de la gestion du temps, de la durée des pistes, coulant d’une façon quasi-naturelle. De la beauté des compositions aussi, mêlant pureté et chaos avec une justesse absolue, rarement entendue.



Ce Street Horrrsing est un énorme coup de coeur. Le plus gros coup de coeur de ce début d’année. Il serait sorti en fin d’année dernière que le constat aurait été le même.

Il serait suicidaire de le conseiller. Mais il serait honteux de ne pas prendre ce risque.


Le plus facile étant donc de vous conseiller ardemment d’écouter ce titre, au casque, ou avec un son bien fort, confortablement installé. Peut être alors que vous aussi, vous allez vous laisser happer, dériver, au bout de deux minutes :






FUCK BUTTONS – Sweet Love For Planet Earth (Clic Droit / Enregistrer Sous)








6 Titres – ATP Records
Dat’









  1. Mikelevoisin Says:

    Un jour, mon banquier te tuera !
    Mais que c’est bon…
    I’m your fan

  2. Miaw, visiteur Says:

    Merci pour ces chroniques de qualité, je suis l’affaire, et je me prends des baffes à chaque fois.
    Et là une magistrale quand même
    Mais ça fait tellement de bien.

  3. wony, visiteur Says:

    le titre en écoute est vraiment terrible, quelle claque !!! et moi qui adore les sons saturés je suis servi !!!!!!!

    J ai peur que tu me dises qu il est dur a trouver…..!???

  4. Sylvain, visiteur Says:

    Un avant goût des nuits sonores?? ^^
    Les 3 premières lignes de ta chroniques m’ont conquis, Les 20 premières secondes de l’album m’ont séduit.
    Pourtant je suis pas un adepte de noise music mais là c’est clair que ça met une claque. Ca fait longtemps qu’un skeud m’avait pas transporté comme ça.

  5. Dat' Says:

    Mike ==} Promis, je n’ai rien à voir avec le trou de la Société Generale XD

    Miaw & Wony ==} Oauip ce titre est magistral. et le plus drole, c’est que ce n’est pas le seul dans le disque.

    Le disque n’est pas “super” difficile a trouver. Je veux dire, il est dans toutes les grosses enseignes Fnac/Virgin mais ils en ont 1 ou 2 quoi pas plus…
    Chez un disquaire de quartier, si le malotru n’en a pas en stock, il le commendera facilement !

    Sylvain ==} Nop malheuresement ils ne passent pas aux Nuits Sonores u_u

    Content que le titre en extrait vous plaise en tout cas !

  6. Aeneman Says:

    Marrant le côté “bruitiste” ça me fait penser à du Ez3kiel période Naphtaline qu’on aurait mélangé avec du Sun O)))…intéressant.

    Un disque parfait pour s’envoyer en lévitation à coup de basses et de rêves électriques…

    Sympa l’extrait en tout cas, malgré son côté “lourd” ça me semble tout léger en même temps…zarb.
    Les murs de guitares sont décidément bien présents ces mois-ci…thx pour la découverte :jap:

  7. Dat' Says:

    “malgré son côté “lourd” ça me semble tout léger en même temps”

    Justement, c’est vraiment en ce sens que le cd excelle.

    et surtout, rien que pour la transition entre le titre 4 et 5, Street Horrrsing merite d’etre vecu…

  8. El_pingouino Says:

    J’écoute ce disque depuis un moment déjà et je le trouve impressionnant par moment.

    Sweet Love for Planet Earth et okay,let’s talk about magic m’ont scotchés, drôle d’impression de lourdeur et de fantaisie légère et orgue fantôme.

    Certains morceaux je les trouve assez moyens: du bruit saturé…trop et je vois pas où ils veulent en venir.
    Voilà, ça tourne en rond, trop de latence, d’attente.

    Le dénouement se fait trop attendre où est décevant.
    je trouve dommage que ce Street Horssing ne soit pas plus constant.
    Cela va du terrible, innovant au bof et énervant je trouve.
    Sinon j’ai aimé :p

  9. Dat' Says:

    C’est clair qu’il faut etre un peu enclin à se faire chahuter sur certains titres, et au vu du caractere “saturé” du disque, ce dernier ne s’ecoute pas à tout moment dans la journée… mais par contre, je trouve vraiment que niveau “latence” et “attente”, les mecs ont vraiment geré, tout vient à point nommé…

    Et surtout, au final, ce n’est jamais agressif… (donnée la plus importante dans ce type de musique) voir meme franchement planant…^^

    Perso Il n’y a que l’interlude/petit deuxieme titre tribal qui me fait pas vraiment d’effet, mais bon, 2 min 30 sur tout le disque…

  10. LordMarth Says:

    Ca me fait penser à du Fennesz un jour de grosse colère, je suis un gros client de ce genre de fond sonore, d’embrasements pour mes oreilles qui crient famine continuellement dans le registre. Encore une chronique qui met l’eau à la bouche. Vivement que je choppe ce disque.

    La jaquette donne bien le ton.

  11. Jaylinx Says:

    C’est bizarre, je deviens fou. J’écoute des trucs inconcevables. Des machins sans fin qui se répètent sans cesse, comme si cette musique était une parabole de la vie d’une personne ayant une vie de merde, sans but et répétitive. Ce qui fait que c’est de la musique de merde. Pourtant j’aime bien. Dès fois ça me fait penser aux premiers essais d’Animal Collective sauf qu’il y a un monsieur qui crie dans un micro mal réglé. Même qu’il fait un peu peur. Mais j’ai une vie cool, faut que je relève la tête, je me remet un petit Barbra Streisand pour la peine.

  12. Demosth Says:

    Pas mal du tout cet album!!

  13. LordMarth Says:

    Tout simplement magistral, un gros morceau, une plongée dont je ne remet toujours pas, il faut trouver son créneau pour l’écoute, se réserver sa séance pour savourer comme il se doit les 6 pistes. L’art de maîtriser le bruit n’est pas donné à tout le monde, un ENORME coup de coeur, merci infiniment Dat !

  14. Dat' Says:

    Hey content que tu ais apprecié…

    Ouai je ne m’em remets toujours pas de ce disque, enorme claque pour moi aussi…

  15. wony, visiteur Says:

    hey, je viens enfin de l’acheter (avec le matmos) je l écoute la, ma tete va d avant en arriere lentement depuis que j ai mis play. C est grand comme disque, trés grand, on se sent tout petit.

    Je crois que je vais écouter la fin du disque allongé parterre

  16. Dat' Says:

    Ahah effectivement, la “masse” sonore est impressionante, sans pourtant agresser une seconde…

    “Je crois que je vais écouter la fin du disque allongé parterre”

    Je retiens cette expression ! 😀 il n’y a aps de copyright j’espere ? 😀

    Tu as pris le dernier Matmos sinon?

  17. wony, visiteur Says:

    Vas y je t en pris utilise ma phrase autant que tu veux u_u

    J ai d’ailleurs fait ce que j ai dis. Et j’étais vraiment a fond dedans. Complètement ailleurs. Comme complètement défoncé, genre il aurait pu pleuvoir sur moi que j aurais pas remarqué. Ca c est fini quand ma copine a ouvert la porte de la chambre dans laquelle j étais allongé qui est venu me taper le pieds et qui m a fait sortir du truc d’une manière trés peu agréable et bien trop brutal 🙁
    Un disque m a rarement fait cette effet la ! mais je pense pas qu il me le refasse. Tout devait être adéquat pour que je rentre dans le trip je pense. En tout cas merci pour la découverte. Sincèrement.

    J ai acheter le Matmos oui, mais je ne l ai pas suffisamment écouté pour pouvoir en parler, je dirais sûrement un petit mots sur son topic au moment venu.

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