Ghostpoet – Peanut Butter Blues & Melancholy Jam


Wash The Day Away…



J’ai un amour assez inconsidéré pour les lyrics dans le Hiphop, même si je n’en parle pas des masses. Loin de participer à cette dichotomie inévitable du genre, à obligatoirement séparer ceux qui parlent de coïts en limousine de ceux traitant des problèmes existentiels de page blanche, c’est clairement la façon dont est agencée une phrase, ses mots, ses sonorités, qui me fascine, quel qu’en soit le sujet. (En attendant le morceau qui parlera de sodomie sur fond de Nietzsche). D’un Lil’ Wayne crachant des punchlines hysterico-incohérentes à un Sole débitant des textes encore plus touffus qu’une loi Hadopi, d’un Booba façon punchline-coup-de-butoir-je-m’en-bas-les-couilles à un Arm ultra abstrait et réfléchi, pas de soucis, dans tous les cas, si c’est maitrisé (comme pour les exemples du dessus), ça m’hypnotise.

Mais il y a pourtant une approche qui a toujours gagné mon petit cœur, qui est surtout ressortie dans mes écoutes de disque HipHop uk : la description clinique d’une situation, d’un quotidien, d’un acte souvent anodin. En cela, plus jeune, des mecs comme Skinner m’avaient révolutionné la gueule. Je voulais récemment crier tout mon amour pour ce style d’écriture lors de la sortie du dernier The Streets, mais j’ai avorté la chronique à la moitié, comme bien souvent quand je ne trouve pas le bon moment pour écrire un truc (Le dernier Ep de Burial aussi par exemple, moitié de texte qui va surement pourrir dans un coin de mon ordi… l’ep est superbe d’ailleurs, Stolen Dog me flingue)


Bref, ce The Streets, qui avait justement lâché un peu le trip des lyrics parlant de clopes, de soirées à regarder le plafond, de glande sur canapé et de drague à la sauvette, a toujours été pour moi le fer de lance de ce genre de morceaux, vite accompagné de mecs comme les Mitchell Brothers ou Jamie T (bizarrement, les british semblent naturellement bien lotis pour accoucher de lyrics de la sorte.)

Un univers ni pimp ni revendicatif, mais un simple constat, enfilade de mots sublimant une situation banale. La célébration du ventre mou. J’aime quand ça parle de rien, quand on prend 3 minutes pour donner de l’importance à un événement qui semble banal, quand on parle d’attente, de glande, de perte de clef, de télévision. A dire vrai, j’aime ces textes, car ils me font penser à des photos. Ecouter ces mecs déblatérer sur le fait d’arriver en retard à un rdv, de boire trop de brandy ou d’aller louer un dvd, c’est comme regarder un court métrage, un book d’instantanés, une autre manière de figer une réalité, une situation, sans l’aide d’une camera mais tout aussi riche en images et détails.


Je ne sais pas pourquoi je pars là-dessus en intro (comme pour 95% de ces dernières), mais cela me permet d’embrayer sur GhostPoet et son Peanut Butter Blues & Melancholy Jam, disque sorti en Février, acheté “à la pochette”, un peu au hasard, en déambulant dans les rayons, avec chronique commencée puis jetée, puis oubliée (faut dire qu’avec ce qui nous est tombé sur la gueule, on est tout de suite moins fasciné par la description d’un mégot flottant sur une Guinness). Sinon, un gros rhume + acouphènes, c’est un cauchemar, donnez moi un couteau que je puisse enlever mes tympans comme de vieilles huitres. GhostPoet avait, parait-il, sorti en Ep l’année dernière, mais j’étais complètement passé à coté.







Le packaging ne trompe pas, l’artwork très James Blake (d’autant plus que les deux sont placés cote à cote dans les rayons bizarrement) représente parfaitement ce que l’on va trouver dans le disque. Une musique ouatée, ultra enfumée, mais pas trop dub à la King Midas Sound, ni trop frontale à la Manuva. Les instrues sont posées, presque linéaires. L’élément le plus caractéristique de ce disque, c’est clairement le flow de GhostPoet, ultra nonchalant, le mec semblant presque s’être enfilé 1 litre de vodka avant d’enregistrer. Suffit de lancer Run Run Run pour comprendre le délire. Electronica fragile, Mc semlant complètement à l’ouest, et un pur refrain résumant le disque « Run away / Be a real man and fight another day / I heard that in a tv program / So it must be right… right ? right… ». Parfaitement compréhensible, mais avec une manière d’articuler vraiment spéciale, on accroche ou l’on déteste. Perso, l’accent ultra prononcé du bonhomme ne me fait pas hésiter une seconde, je chavire direct.

La majorité des morceaux sont dans ce trip trainant, limite je-m’en-foutiste : Us Against Whatever Ever semble sorti d’un Kode9 & Spaceape en slow motion (c’est dire), le génial Longing For The Night, puant l’ennui et la vie qui défile sans avoir envie de bouger le petit doigt, Survive It, plus cristallin dans ses sonorités pourrait se la jouer Dry Your Eyes avec mode chialeuse en mode off. Ou Garden Path, et son intro tellement claquée que l’on a l’impression que GhostPo va nous gerber dans les oreilles. (impossible de ne pas penser à Jamie T là aussi) C’est répétitif, boucles minimalistes point barre, beaucoup partiront en courant.

On a droit à deux ou trois trucs un peu plus psychédéliques, avec un Gaaasp, matraqué par un rythme pachydermique et des synthés bontempi qui n’arrêtent plus de s’envoler, le tout pour des lyrics très The Streets ou un I Just Don’t Know un plus violent et secoué (pas le plus réussi des morceaux d’ailleurs)




Mais le point d’orgue, le petit diamant du disque, c’est Cash and carry me home, génial morceau narrant avec perfection le hangover, le verre de trop, excuse alcoolisé cachant le gros malaise, la vie qui fait du surplace. Le verbe est génial, l’instrue, toujours aussi rachitique, est surement la plus réussie du disque, et le flow colle parfaitement à l’histoire. Je parlais de photos, et ce morceau, c’est exactement ça. Chaque phrase, c’est un instantané, une volée d’image que l’on a tous eu devant les yeux. C’est clinique, mais décrit avec émotion, avec renoncement, avec un recul presque trop pertinent. « My hand grip whiskey like a newborn child
/ Last night I must admit it got quite wild /… / But I wonder what shenanigans brought me here / While I’m cryin’ out loud and I’m feeling quite sorry for myself / I need to check my health / Cause I ain’t mashing no one but myself » Le mec est perdu, un peu pessimiste, mais pas dépressif. Cynique peut être, pragmatique surement.

Et si le disque avait déjà arpenté le rock avec l’excellent Finished I Aint, c’est la conclusion Liiines qui va illuminer le disque, le porter sur une note plus positive, du moins musicalement parlant. Avec un espèce de post-rock mélancolique et un flow un peu plus alerte (le mec au micro, pour la première fois, ne semble pas sortir du pieu apres une nuit de 3 heures), pour un refrain tout en explosion et en ascension.





Parce que GhostPoet aligne le meilleur titre sur l’alcool et le manque d’envie (sur Cash and Carry me Home) depuis Blinded By The Lights et Too Much Brandy de The Streets, et surtout parce que le mec aligne ses phrases avec un flow mi-bourré mi-insomniaque, ce disque ne pouvait que se loger dans mes oreilles. Mais l’anglais se paie en plus le luxe de poser sur des prods souvent réussies, parfaitement en phases avec ses exclamations nonchalantes, que les instrues soient à forte teneur electronica ou rock-indé chelou.

Le mec semble simplement nous compter ses journées avec les bras ballants, affalé devant la tv, à chercher un but en tétant une énième binouze. Nous dire que la vie, c’est de rester sur son canapé en se disant qu’aujourd’hui, c’est sur, on va enfin se bouger le cul. Pour finalement tendre le bras, attraper une autre bière, et remettre tous ces projets au lendemain. Regarder sa vie passer, d’un œil torve, en être conscient, avec la flemme pour carburant.









12 Titres – Brownswood Recording

Dat’




  1. Nathan Says:

    Ahah, j’ai adoré ce disque. Mais j’ai pas du tout trouvé les mots pour en parler. Comme quoi… Ca devait pas être le bon moment.
    Puis lire le nom de Jamie T où que ce soit me ravit toujours. J’aime ce mec d’amour.

  2. janvier18 Says:

    je ne suis pas super fan j’avoue, mais j’adore l’instru de ce morceau 😉
    et comme d’hab, super chronique !

  3. Joris Says:

    Ca devient lassant d’être toujours d’accord avec toi… J’ai laissé filer Ghostpoet à plusieurs reprises, là j’m’y mets pour de bon et c’est de la pure bombe. Vraiment du bon hip-hop anglais (moi qui n’ai pas tellement apprécié la dernière fournée de Mike Skinner ça fait plaisir). J’adore les lyrics des anglais, tu le décris bien en intro, et d’ailleurs j’avais bien aimé ta chronique du Jamie T y’a… 4 ans ! ^^ Bref, je vais voir comment il vieillit cet album, mais pour l’instant c’est une de mes grosses claques de 2011.

  4. Dat' Says:

    nathan ==> Ouai Jamie T, ce mec est mortel. Son premier album m’a marqué à vie (enfin, au moins pour quelques années ahha)

    janvier18 ==> Merci ! C’est clairement la meilleure instrue du disque, mais la majorité des tracks sont dans ce style, donc tu apprecieras peut etre le reste.

    Joris ==> Putain tu me files un coup de vieux ahah. Effectivement, la chronique remonte… Pareil, pas renversé par le dernier Skinner malheuresement. Enfin, j’ai beaucoup aimé sa mixtape, mais son album est vraiment “normal”…

    Dat’

  5. Evets Says:

    ils ont cloné Roots Manuva Oo’

  6. staphi Says:

    héhé ça à l’air sympa. en plus il je ne connais que très peu de rap anglais (à part Roots Manuva et The Streets), il va falloir que je m’y mette, et ça semble un bon début.

    petite parenthèse vu que tu parles de Arm en début de chronique, n’hésitez pas à vous pencher sur le dernier Psykick Lyrikah “Derrière Moi”, il est vraiment bien, Arm est en grande forme, et en concert c’est vraiment cool aussi, super péchu.

  7. Dat' Says:

    Evets ==> Ahah ben justement, ce n’est pas si proche de Manuva au final… !

    Staphi ==> Hey bien justement, le dernier psykick est en route, au dessus de l’ocean vers le Japon, envoyé par Amazon ! En plus j’ai vu qu’il y avait une prod de Tepr dessus…

    Dat’

  8. Evets Says:

    C’est surtout le timbre de voix qui ressemble à celui de Manuva, sinon en effet le flow et l’ambiance c’est pas vraiment la même chose ^^
    Pour ‘Derrière moi’, comme dhab, j’ai toujours autant de mal à accrocher au flow d’Arm.

  9. staphi Says:

    >Dat : Ouais y’a une prod qui en fait est de Tepr et Arm. C’est pas celle que je préfère d’ailleurs, même si ça me fait plaisir d’entendre du Tepr non yellisé.

    >Evets : je te comprends, Arm a un flow spécial. Perso j’ai mis longtemps avant d’accrocher à Psykick à cause de ça. J’ai toujours adoré les textes, mais le flow… et puis maintenant je trouve qu’en fait il a le flow qui va bien avec ses textes, qui leur donne le relief dont ils ont besoin (point de vue évidemment tout à fait personnel).

  10. Keum Says:

    Bien joué pour le titre
    une bien triste nouvelle.

  11. Benjamin F (Playlist Society) Says:

    Le disque, la critique, tout ça est très bien.

    Je ne savais pas que tu étais acouphènique. J’espère que tu t’en sors. De mon côté il y a des hauts et des bas ; vraiment une saloperie ce truc…

  12. Dat' Says:

    fffiouuu mec, ce truc a changé ma vie. Plutot que de changement, on peut parler de basculement. Une vraie saloperie effectivement, qui est là, tout le temps, partout (doublé d’une très légère hyperacousie). Je parle pas des masses pas que l’on te comprend pas forcément. Mais ça perle clairement dans beaucoup de mes chroniques, parfois juste un bout, juste une phrase, juste un indice. Même dans mes photos.

    La seule fois ou j’en ai parlé frontalement de cet acouphène, c’était sur cet article, parce que le disque convenait parfaitement : https://www.chroniquesautomatiques.com/2008+rod-modell-incense-and-black-light.html

    Je ne me serai pas douté que tu avais ce problème aussi ! Effectivement, il y a des hauts des hauts et des bas. Là, avec le rhume, c’était l’horreur pendant quelques jours, c’est absolument insupportable. Sinon le Rivotril arrive à peu près gérer le truc en temps normal, ça fait 5 ans maintenant, donc on assimile le parasite… Au depart c’etait compliqué, maintenant ça ne l’est que par intermittence. J’ai pensé 100 fois faire un article dessus, j’ai jamais franchi le pas au final. Tu te dis que tu le feras demain. Et le lendemain, ça va bien.

    Seule chose dont je suis sur, c’est que si, un jours, ces Chroniques Auto s’arrêtent, cela sera sûrement à cause de cet acouphène, si ça prend trop de place, peut etre. J’ai un peu peur que cela arrive trop vite. Mais pour le moment ça va, c’est stable, et cela depuis quelques années. Reduis les doses de médocs aussi.
    Je fais gaffe, surtout. La seule chose qui me fait chier, c’est que je me suis rendu compte que trop de choses, de choix dans ma vie sont régis par cette merde, presque inconsciemment. Même si cela a beaucoup beaucoup moins d’impact maintenant qu’il y a quelques années…

    Dat’

  13. Neska Says:

    Bon, perso je suis complètement passé à coté de ce disque, et de ta chronique aussi puisque je viens de la voir et de la lire.
    A partir de cet extrait, j’ai un peu de mal à voir le rapport avec Jamie T mais bon, ca doit etre d’un point de vue plus global j’imagine.
    En revanche, celle avec Skinner peut vite devenir évidente semble-t-il…

    Je vais voir ce que ca donne. Après avoir avalé tout ce qu’il y a en stock de mon côté !

    Bon courage avec ce problème d’oreille.

    Neska

  14. Dat' Says:

    Pour Jamie T et GhostPo, le parallele est fait à cause du flow très “alcoolisé” dans les deux cas, ça m’a frappé, plus le coté “histoires de branle-couilles uk”. Et sur les deux trois missives rocks du disque, ce n’est pas une comparaison si fumeuse !

    En tout cas, disque très sympathique…

    Dat’

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