MC KAN (漢) INTERVIEW – French



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“Si le Japon marche sur ses deux jambes, c’est uniquement grâce aux connections entre la mafia, la police et la politique”




Je suis assez content de pouvoir publier cette interview, qui a littéralement du être arrachée avec les tripes. Plus de deux mois de tractations par email ont été nécessaires pour avoir cette entrevue, Kan et son équipe se demandant au départ pourquoi un français sorti de nul part voulait l’interviewer, lui qui n’a jamais (semble t’il) donné d’interview à des medias étrangers. Mais la publication de l’interview de Dj Krush aura permis de faciliter les choses, et de montrer patte blanche.

Grand amoureux du hip-hop japonais, je voulais absolument obtenir une interview de Kan, qui, en plus d’être un de mes MC japonais préféré, est figure incontournable du rap local, ultra respecté dans l’underground comme dans les charts. D’autant plus que le MC, contrairement à beaucoup de ses pairs, n’a jamais dévié de sa route, prônant depuis le début de sa carrière un rap sombre, dur, old-school, violent, à mille lieux de la guimauve synthétique fondue dans la J-pop.

Kan, enfin, a une personnalité assez rare dans le rap japonais actuel : si beaucoup de Mc nippons veulent se la jouer américain, exhibent des grosses bagnoles ou dansent dans des boites de nuits clinquantes, Kan fait parti des mecs qui viennent (vraiment) de la rue, et qui en parlent sans détour. Mais la donnée intéressante pour nos yeux de français, c’est justement cette définition de la rue, du crime dont on parle en chanson. Au Japon, pas de braquage et d’exhibition d’armes comme dans l’hexagone. Chez Kan, on est dans la mafia, la vraie : pots de vin à verser à la police, lien étroit avec les politiques, pote avec des gros bonnets de la prostitution. On nous a d’ailleurs bien fait comprendre qu’il fallait éviter quelques questions trop directes, que j’ai du rayer mentalement, à contre cœur.

Le jour de l’interview, fin novembre, on devait rencontrer Kan dans un coin du Kabukicho, et moi comme mon pote japonais qui m’accompagnait, on était pas forcément rassuré, vu la réputation du MC. La rencontre se fera finalement dans la suite d’un hotel 4 étoiles du quartier. Sur la table de la chambre, un détail choque : un sac d’herbe presque aussi gros qu’un ballon de foot trône sur la table. Ca peut faire rire, dit comme cela, mais il faut savoir qu’au Japon, la possession de cannabis est très durement réprimée, et il n’est pas rare de voir des gens (même des expatriés) faire un petit mois de prison pour une barrette de shit. Voir une telle dose de cannabis nous destabilise donc, vu que le mec n’allait clairement pas tout fumer dans la soirée. Au final, on comprendra plus tard que Kan doit tourner les derniers plans de son clip (que vous trouverez plus bas) et qu’il devait apporter de quoi filmer des images sympas. Ce qui conduira à quelques situations assez surréalistes durant l’interview, Kan enchainant les joints sans aucune pause.

PS : Vous trouverez de plus un lexique en fin d’interview, pour mieux comprendre certains termes difficilement traduisibles du japonais au Français !



Ou l’on parle donc avec Kan de la sortie de son nouveau disque Murdaration*, des liens étroits entre la mafia et la politique, de la présence des Yakuza dans le hip-hop, de son groupe MSC, de Dj Krush et de bagarres à Ikebukuro…




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– dat’ : Votre nouvel album, Murdaration, est 1er des ventes dans les plus gros disquaires de Tokyo, alors que votre Hip-hop est très dur, quasiment hardcore. Cela sonne presque comme une anomalie au Japon, où la déferlante d’idoles et boys bands semble impossible à stopper. Au final, quelle est la place du vrai hip-hop au Japon ?

Kan : Mon premier album solo avait été sorti il y a 7 ans, et pas mal de choses ont changé depuis, entre les nouveaux formats musicaux ou toutes ces conneries de CD vs mp3, poussant parfois les artistes à changer pour continuer à vendre leur musique. J’ai noté ces répercussions sur bon nombre d’artistes, mais de mon coté, je m’en fous complètement. La place du hip-hop au Japon ? On va dire qu’il y a toujours pas mal de gens qui pensent que cette musique se résume à “yo yo check this out”, mais les mentalités changent petit à petit. Les gamins qui écoutaient du rap il y a 15-20 ans ont grandi et sont adultes, et continuent d’écouter cette musique… le hip-hop n’est plus un nouveau mouvement.
D’ailleurs, il est maintenant possible d’avoir un rappeur dans sa famille, ou de connaître un pote qui fait du hip-hop, ce qui était très rare auparavant. Même des mecs qui travaillent actuellement pour le gouvernement, genre des fonctionnaires ou des flics, sont parfois des anciens rappeurs. J’imagine que cette évolution dans les mœurs ne peut qu’aider le rap japonais à être plus populaire, même s’il reste extrêmement underground par rapport aux autres genres musicaux à l’heure actuelle.



– dat’ : Les prods de Murdaration sonnent vraiment old school… On se souvient aussi de la grosse référence que vous aviez fait à NAS / Illmatic avec l’artwork de votre premier LP. Quelle est la place du hip-hop américain dans votre musique ?

Kan : Ah, l’artwork façon Illmatic… Mon premier LP a été sorti sur Libra Records. Au départ, on devait utiliser le Gremlins qui apparaît dans mon premier clip solo, mais le designer a tout changé au dernier moment, en trouvant une photo de moi jeune, pour en faire une cover à la Illmatic. Moi je n’étais vraiment pas d’accord pour valider cette pochette, on s’est pas mal pris la tête sur ce sujet, mais malheureusement, la deadline était déjà passée, donc j’ai dû m’incliner… Mais au final, tout le monde se souvient de cet artwork, et cela a dû pas mal aider mon disque à se propager, donc cela n’était pas une si mauvaise chose que cela. Le plus drôle dans l’histoire, ce que je ne suis vraiment pas un gros fan de NAS, sa musique ne me touche pas tant que ça. Mais évidemment, j’adore le hip-hop américain, même si je ne pige rien à ce que les MC racontent…
J’aimerai vraiment le hip-hop japonais devienne aussi balaise, ait la même qualité que le rap US. En parlant de connections, mon pote TAV aka Taboo1, de MSC*, était dans le crew des graffeurs français L.F.T… j’imagine que ce genre de connections nous aide à envoyer notre message depuis le Japon vers le reste du monde. Mon but ultime serait que les étrangers puissent se dire « ouais, il y a vraiment de très bons groupes dans le hip-hop japonais ». Pas juste les gaijins qui vivent à Tokyo hein, mais carrément ceux qui écoutent du rap en Europe ou aux US…



– dat’ : L’album Murdaration est bizarrement construit, on a au final un mélange de morceaux traditionnels, mais aussi des captations lives, du beatbox, des freestyles…

Kan : Alors justement, pour parler du freestyle… Il y a un bail, lors d’un festival à Kyoto qui réunissait un bon nombre d’artistes. J’étais dans les backstages, et j’entends un battle entre un gars nommé Meteor, et Ill-bosstino, le MC de Tha Blue Herb. Je décide de monter sur scène et je m’incruste dans le truc en balançant un freestyle avec les autres. C’était d’ailleurs la première fois que je rencontrais Ill-bosstino.
Bref, quelques années plus tard, ce dernier me téléphone. D’ailleurs, il n’a pas de téléphone portable, il avait dû m’appeler d’un numéro fixe, ce qui est assez rare au Japon (rires). Donc, Ill-bosstino, qui vit à Sapporo, voulait voir mon quartier, mon “hood”, donc nous sommes allé squatter la baraque de Taboo1, qui vivait dans le coin de Shin-Okubo à l’époque. On se met à fumer un max d’herbe, et on lâche quelques freestyles à nouveau, pour capter ça en vidéo. Au final, j’ai pris le son d’une de ces vidéos pour le freestyle de ce nouvel album !

Le manager se lève subitement, prend un déodorant en aérosol, puis sort de la chambre pour en asperger tout le couloir de l’hôtel de façon surréaliste, pendant quelques minutes, pour tenter d’effacer d’éventuelles odeurs de cannabis qui sortirait de la suite, histoire que la police ne déboule pas. Avec mon pote, on a envie de se marrer, mais on ne fait pas les cons.



– dat’ : L’instrue de 漢流の極論, de votre premier album, est surement l’instrue la plus dingue de tout le hip-hop japonais. Vous pouvez nous en dire un peu plus sur ce morceau ?

Kan : C’est Dj O-KI qui a produit le morceau. Pour l’anecdote, ce mec est un businessman maintenant, il travaille pour une société, il est « clean » désormais. Tu sais, au Japon, les BBoys doivent penser à leur futur, il y a deux paliers à ne pas manquer dans la vie, à 22 ans et à 30 ans. A 22 piges, la majorité des jeunes ont leur diplôme, et rentrent dans la vie active, abandonnant leurs rêves. Pour les autres, pour tout ceux qui étaient dans un groupe, qui avaient un parcours un peu marginal, c’est à 30 ans que la limite arrive. Si à 30 ans tu n’as pas réussi à concrétiser tes rêves, il faut absolument chopper le dernier train pour rentrer dans la vie active, sinon tu ne seras pas intégré dans la société japonaise.
Bref, avec DJ O-KI, on avait l’habitude de faire des concerts au club Harlem de Shibuya (Ndlr : légendaire club hip-hop de Tokyo). Je voulais quelque chose qui sonne bien ghetto, donc un soir je lui ai demandé de faire une instrue bien lourde, bien puissante. Il m’a proposé quelques prods, et quand j’ai entendu celle de 漢流の極論 je n’ai pas pu m’empêcher de balancer un “putain, celle-là est énorme !”.



La vérité, c’est que si les yakuza possèdent l’industrie de la nuit, il faut savoir que la police est tout autant impliquée dans le business des clubs”



– dat’ : Dans ce morceau 漢流の極論 justement, vous dites “si tu trahis dans le kabukicho*, tu perdras la vie”. On connaît plutôt bien ce qui se passe dans les ghettos américains grâce à leur hip-hop, mais c’est difficile pour les Français de comprendre les règles d’un quartier comme celui du Kabukicho… Et ce dernier tient une place très importante dans vos textes…

Kan : C’est assez différent. Pour moi, le Kabukicho est devenu l’endroit où tu sors, où tu te fais plaisir. Évidemment, j’ai vu plus de choses horribles dans ce quartier que n’importe qui d’autre. Pour moi, Kabukicho est un peu la ville invisible, celle que personne ne peut déchiffrer, personne ne peut réellement percer toutes les ombres imprégnant les rues de ce quartier. Surtout ces derniers temps. Je comprends que la majorité des gens aient peur des gangs, yakuza* ou teamers* qui peuplent les rues du coin. Mais je connais aussi pas mal de Japonais qui s’en battent les couilles, qui n’ont pas de préjugé et qui apprécient de traîner avec les gens du Kabukicho, qui sont bien souvent très sympathiques.

D’autant plus qu’il y a beaucoup de rappeurs, ou de mecs qui apprécient le hip-hop dans ce quartier. Un de mes potes est devenu un flic de la brigade Marubo (マル暴 une police spécialisée dans la lutte contre les yakuzas), mais il était DJ dans sa jeunesse ! D’ailleurs pour l’anecdote, un jour sa brigade est tombée devant mon crew… mon pote m’avait évidemment reconnu, mais la procédure l’obligeait à me contrôler quand même (rires). Il y a aussi des criminels, des meurtriers du quartier qui veulent changer de vie après leur peine de prison, et qui se mettent au rap. Ça, j’imagine que c’est un peu comme dans les autres pays… sauf qu’au Japon, personne n’en parle, c’est un sujet inexistant dans les médias.



– dat’ : Justement, en parlant de la police, vous pensez que le Kabukicho a changé ces derniers temps, avec les nouvelles lois anti-mafia instaurées par le gouvernement ? Ça a eu des répercussions dans votre rap ?

Kan : Bonne question, j’ai clairement ressenti ça. Après, tu peux être sur que ce quartier ne changera jamais complètement, il est impossible de lui couper ses racines les plus profondes. Sans tout le fric qui vient directement du quartier, Shinjuku* ne pourrait pas survivre. Shinjuku a un besoin vital de l’argent sale émanant du Kabukicho, c’est un fait.

Bon, tu es un étranger, donc tu dois absolument comprendre un truc sur le Japon : Si ce pays marche sur ses deux jambes, c’est uniquement grâce aux connections entre la mafia, la police et la politique. La culture japonaise elle-même se base sur toutes ces conneries, c’est dans notre façon de vivre. Encore plus dans la campagne japonaise, où ces gars se contactent constamment, avec de simples coup de téléphone, comme si tout ça était complètement normal.

A Tokyo, c’est un peu le même bordel. D’ailleurs, il y a quelques années, avec mon pote Shingo Nishinari, on a participé à des réunions officielles, des meetings pour parler des problèmes de quartier et compagnie. Dedans, tu pouvais y trouver des flics, des députés, des politiques… et toutes les organisations criminelles du coin. C’était excellent pour nous, ça nous permettait de faire un maximum de connections avec les politiciens (rires). D’ailleurs, on a même rappé devant eux, et les mecs nous applaudissaient, même quand on balançait nos textes bien hardcore sur la vie dans le quartier de Shinjuku. Ah, d’ailleurs, je connais un politicien assez connu qui écoute souvent le dernier disque de Shingo Nishinari dans son bureau ! (S’ensuit un discours un peu éclaté sur les liens entre la mafia et les politiques, difficile à comprendre) Tu sais, on a pas mal de dossiers sur des mecs qui trempaient dans des affaires louches au Kabukicho, et qui sont devenus soudainement connus en politique, ce genre de trucs.. et… euh… c’était quoi la question à la base ? désolé, je suis complètement défoncé là (rires)



– dat’ : (rires) c’était sur le Kabukicho, et…

Kan : Ah oui oui, c’est vrai… Ce quartier est quand même un peu différent de quand j’étais jeune. Adolescent, on arrêtait pas de traîner dehors tu sais, dans les parcs, dans les rues… on cherchait les endroits où il y avait possibilité de foutre le bordel (rires). A cette époque, il y avait pas mal de gangs de Teamers* dans les rues, c’était plus visible, surtout à Shibuya ou Ikebukuro. Pas tant que ça à Shinjuku d’ailleurs. Parce que ce quartier, c’était pour les “affaires entre adultes” tu vois ? Les jeunes ne pouvaient pas rester dans le Kabukicho, on devait attendre de prendre du galon pour traîner là-bas. C’était un endroit fascinant. Je suis allé à Hong-Kong, j’ai vu des endroits avec des “night views” qui avaient couté des millions de dollars… Mais le Kabukicho a toujours été l’endroit où l’on brassait le plus d’argent.



– dat’ : Et pour les étrangers qui se baladent dans le quartier ?

Kan : Mmmm dans les établissements, on n’accepte généralement pas les étrangers… Mais c’est surtout que les club à hôtesses et compagnie ne veulent pas avoir de problème. Si il y a des étrangers dans un bar à putes, les policiers et les yakuza vont forcément débarquer pour venir voir (rires). Tiens d’ailleurs, il faut savoir que la mafia possède et gère beaucoup de clubs, mais ce n’est pas trop le cas pour les événements hip-hop. Tu trouveras des yakuza dedans, mais ils ne gèreront pas le truc entièrement.



– dat’ : Ah, c’est un point intéressant, quel est le vrai lien entre les nightclubs « normaux » et les yakuza ?

Kan : Mmmm il y a beaucoup de clubs qui subissent des fermetures par la police en ce moment, pour des motifs parfois étonnants. Mais ils ré-ouvrent très rapidement en général, et ça, c’est évidemment grâce au fait que la mafia et la police sont en constante et étroite relation. Tout est une histoire d’argent et de business. D’ailleurs, c’est très difficile d’ouvrir un club de hip-hop sans avoir de connexion dans la police, ou sans connaître de flic bien placé. La vérité, c’est que si les yakuza possèdent l’industrie de la nuit, il faut savoir que la police est tout autant impliquée dans le business des nightclubs.

Pour en revenir à ta question, même quand je fais un live loin de Tokyo, dans la province japonaise, les boss des clubs ressemblent grave à des Yakuza. Ou alors, tu verras quelques signes qui ne trompent pas, genre dans les backstages, des bouteilles disposées sur une table de telle façon qu’elles forment un diamant, pour montrer que certaines personnes sont impliqués dans l’event (Ndlr : Le symbole du diamant est utilisé par l’une des plus grosses organisations criminelles du Japon). Ce genre de trucs arrive vachement souvent (rires) ! D’ailleurs, régulièrement, l’organisateur me demande “Hey Kan, tu es toujours dans « les affaires » ou pas ?” et je suis du genre “Non, maintenant, je fais mon biff grâce à la musique” (rires).



On n’est pas le genre de groupe qui utilise internet pour enregistrer un nouveau disque, à s’envoyer des couplets par e-mail, tout ça… Pour trouver l’émulation, on a vraiment besoin de vivre à coté les uns des autres, à traîner dans notre quartier…”




– dat’ : Ça fait maintenant longtemps que l’on a pas eu un nouvel album de votre groupe MSC*. Il n’y a pas de futur LP prévu en 2013 ?

Kan : Non, malheureusement, il n’y a strictement rien de prévu pour le moment. Je veux dire… on pourrait sortir un nouveau disque un de ces jours hein, on ne s’est pas du tout séparé, ce genre de truc. C’est plus comme si l’on était en hibernation pour le moment. Certains de nos membres, comme GO, font des trucs de leur coté… sinon 02 a une famille, et il vit vachement loin, à Okinawa… Et on n’est pas le genre de groupe qui utilise internet pour enregistrer un nouveau disque, à s’envoyer des couplets par e-mail, tout ça… Pour trouver l’émulation, on a vraiment besoin de vivre à coté les uns des autres, à traîner dans notre quartier… C’est pour ça que l’on a pas sorti de disque MSC depuis quelques temps.
Bon, il y a aussi un truc en plus, que je peux dire vu que c’est une interview française : on a un problème via le label, et on a pas réussi à arranger ça pour le moment. Si ça s’arrange, ça pourrait accélérer le processus.

Le manager se lève, redonne un coup d’aérosol, puis prend une serviette et la plonge sous l’eau, pour la poser contre la porte, pour colmater l’espace du dessous, afin de limiter les odeurs/la fumée de cannabis qui s’échappent de la chambre, déjà transformée en aquarium depuis longtemps. Les fenêtres des hôtels japonais ne s’ouvrent généralement pas. On reste calme, tout est normal.



– dat’ : Vous avez travaillé avec Dj Krush aussi. Du point de vu d’un artiste japonais, qu’est ce que représente Krush pour vous ?

Kan : Je vais te raconter une histoire que j’avais dis à Krush il y a quelques années : quand on était au lycée, j’avais un pote qui était à fond dans la musique de Krush, et il m’avait fait découvrir ça. Pour moi, c’était un peu comme le Wu-Tang tu vois, c’était vachement sombre, assez rude. C’était assez nouveau comme musique, je n’étais pas habitué, donc j’avais du dire un truc du genre “ouais c’est assez cool” mais pas plus. Ce n’est pas que j’avais détesté hein, mais ça n’avait pas été un choc énorme quoi, je n’étais pas devenu un fan complètement ouf de Krush sur le coup (rires).

Mais quelques années après, je l’ai vu à la télé, et il avait dit un truc comme “mon but est de faire connaître le hip-hop japonais à travers le monde, je veux que les pays étrangers écoutent nos sons, et c’est une des raisons pour laquelle je fais des tournées mondiales”. Moi j’entends ça, et je me suis dis “putain ce mec est grave cool !”. Évidemment, j’étais aussi au courant que ce mec était yakuza plus jeune, qu’il avait fait des trucs pas nets… Mais après avoir vu cette interview, j’étais vraiment en mode “Krush est un putain de boss !”. Donc j’ai pas mal freestylé sur ses morceaux, et petit à petit, il m’a demandé de travailler avec lui. J’étais vraiment heureux d’entendre ça, un putain d’accomplissement. La première version du morceau Mosa que l’on a fait a finalement été mise de coté par SONY, je n’ai jamais trop compris pourquoi. D’ailleurs, je n’étais pas ultra fan de cette version. Mais au final, un peu plus tard, Krush a sorti une version remix de Mosa sur son LP (Ndlr : Stepping Stones), et celle-là, elle est vraiment mortelle. Je suis vraiment heureux d’avoir pu bosser avec lui et j’espère bien un jour avoir l’opportunité de refaire quelque chose avec lui…



– dat’ : Autre chose, sur le lien entre le hip-hop et la culture japonaise… est-ce difficile d’être une fille dans le milieu ?

Kan : De mon point de vue, je pense que c’est vraiment cool de voir des filles MC. Ce n’est pas si difficile pour elles d’ailleurs, les filles peuvent parfois être meilleures, plus motivées pour montrer leurs talents de MC. Et évidemment, ça peut les aider si elles sont mignonnes. Pour le succès, ça dépendra si elles sont assez « bitchy », et si elles sont vraiment honnêtes vis à vis du hip-hop. Ca peut être simple de vendre le disque d’une fille juste à cause de son joli minois, mais si elles ont vraiment du talent…

Bon sinon, t’es un média étranger, je peux dire ça aussi : j’ai une femme, et elle faisait du hip-hop auparavant, et elle a grave du skills. Donc pour moi, les filles dans le hip-hop japonais, c’est quelque chose de vraiment cool.



– dat’ : Comme je le demande à chaque interview, vous pouvez nous conseiller trois artistes japonais que les Français doivent découvrir ?

Kan : Je vais dire BES du groupe Swanky Swipe… Anarchy, un MC de Kyoto… et Shingo Nishinari, évidemment. Il y a en a beaucoup plus que je pourrais citer… La scène hip-hop est vraiment intéressante en ce moment, il y a beaucoup à découvrir.



– dat’ : Oui, effectivement, il y a des tonnes de bons disques à Tower Records, mais par contre, j’ai l’impression qu’il y a un problème pour trouver de bonnes soirées hip-hop à Tokyo non ?

Kan : Ouais, c’est clair… J’aimerais vraiment voir un peu plus d’endroits cool qui passent du bon hip-hop. Surtout à Shibuya, c’est vraiment compliquer d’écouter de la musique de qualité en club ces temps-ci… //et à Ikebukuro ? // Ouais, j’ai des souvenirs incroyables de concerts dans ce quartier. Mais ce n’est plus vraiment la même chose désormais… Il y a quelques années, c’était complètement fou : des clubs blindés de monde, avec des bagarres et tout le bordel, on pouvait sentir une vraie rage qui émanait de l’audience, c’était vraiment mortel (rires). Mais des trucs pareils à Tokyo aujourd’hui ? Il n’en reste que très peu… Et c’est assez triste à dire, mais c’est un peu le même problème pour les vrais disquaires de hip-hop. Il y avait des tonnes de magasins à une époque, qui partageaient un vrai amour du rap, mais ils ont presque tous mis la clef sous la porte. Tu savais que Boot Street* a fermé ? pfff… Les bons endroits hip-hop sont difficiles à trouver désormais… Il faut vraiment que l’on se serre tous les coudes pour changer ça…





>Lexique, très simplifié, histoire de donner quelques clefs et mieux comprendre cette interview :

* Yakuza : mafia japonaise.

* Kabukicho : petit quartier au cœur de Shinjuku, centre névralgique des activités illégales du coin, et quartier historique de la mafia japonaise. En schématisant un peu, 90% du quartier est composé de clubs à hôtesses, établissements de prostitutions, jeux d’argent illégaux, love-hotels, boites SM, bordels à partouzes et compagnie. Tout en ayant cette réputation de quartier où toutes les envies peuvent être assouvies. Une bonne partie des commerces du quartier doivent encore payer un loyer, ou donner une partie de leurs bénéfices aux Yakuza. C’est aussi un quartier haut en couleur, avec des oasis dingues (salles de concert, bars expérimentaux) pour faire la fête, et des personnalités hors du commun que l’on croisera au détour d’une rue ou d’un verre de bière.

* Shinjuku : grand quartier de Tokyo, composé d’un grand quartier des affaires, d’une des plus grandes gares du monde, et de magasins par milliers permettant de mettre à mal son banquier. Dans Shinjuku, entre autres, quatre quartiers opaques, sans vie le jour, bouillonnants la nuit : la bordure de Shin-Okubo, (quartier coréen pas avare en love-hotels/prostitution), le tout petit Golden-Gai, (quartier historique bourré de petits bars et de repères d’artistes), l’excentrique Ni-chomé (quartier gay et lesbien de Tokyo) et le fameux Kabukicho.

* Teamer (à prononcer チーマー / cheema) : petites frappes, loubards, gang de jeunes japonais aux tenues parfois étonnantes, qui se baladent dans la rue pour chercher le conflit, et rentrer dans le lards d’autres bandes. A différencier des Bosozoku, (gangs à motos), ou des Yankees. Ces Teamers ont tendance à disparaître, ou du moins à être moins visibles dans les rues. Une photo ici pour donner un exemple de gang de Teamers.

* MSC : groupe originel de Kan, composé aussi de O2, Taboo1, GO, Primal et Dj O-KI, avant de s’agrandir graduellement. Représentants d’un rap gangsta et sérieux, avec une vraie culture hiphop, à l’opposé des groupes peuplant normalement le haut des charts japonais. Groupe indépendant, très respecté, mais ayant eu beaucoup de succès, MSC fut le fer de lance du rap “street” japonais des années 2000, malgré le peu d’albums sortis (seulement 2, plus quelques EP). On peut rapprocher cette formation d’un groupe comme Lunatic, ou d’un Wu-Tang (toute proportion gardée) à la japonaise.

* Boot Street : minuscule boutique hip-hop de Shibuya, qui doit pourtant être l’échoppe la plus respectée dans le mouvement. Elle apparaît d’ailleurs bien souvent en photo dans les LP japonais. Le RoughTrade du J-hip-hop pour schématiser. Tous les rappeurs japonais ayant un minimum de succès ont déposé un jour ou l’autre une mixtape là bas.

* Murdaration : Nouveau disque solo de Kan, 7 ans après 〜みちしるべ〜. Ce nouvel LP est étonnamment construit, entre vraies tracks, beatbox, freestyle et lives. Mais il garde cette ligne très brute et old-school chère à Kan et MSC en balançant de vraies bombes. Il contient de plus certains des plus beaux morceaux de hip-hop japonais de ces dernières années, comme le superbe インナー・シティー・ブルース avec AXIS, ou le single I’m a ¥ plant. Les productions ultra bien foutues de DJ琥珀 y sont pour beaucoup.





MC Kan (漢) – I’m a Y Plant





MSC – 音信不通









All photos by Dat’ / Chroniques Automatiques

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J’place une dédicace à Myuji, sans qui l’interview n’aurait pas pu être possible, et Daz as usual




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