Raoul Sinier – Welcome To My Orphanage


Far From Yesterday



Moi qui avait l’habitude de faire un petit paragraphe sur l’hyperactivité de Raoul Sinier à chaque nouvelle sortie, l’année 2012 / 2013 fut plus calme pour le producteur, si l’on excepte un bien sympa Covers, compile gratuite qui nous proposait des reprises dérouillées de Metronomy, Portishead ou Prince. Un changement de label aidant, le parisien a donc pris son temps pour sortir ce Welcome To My Orphanage et peaufiner les obligatoires clips accompagnant ses albums.

Alors moi, je vous avouerai qu’après le palier atteint avec Guilty Cloaks, j’avais vraiment envie d’entendre Ra pousser encore plus le vice, continuer à foncer dans la brèche ouverte par des morceaux comme She Is A Lord ou Too Late. Le truc qui te prend les tripes et te parasite la tête toute la journée. Un tapis de bombe et de la destruction massive oui, mais en mode Anthem. Le mec qui crache sa peine dans le micro, le cœur grenadine, alors que tout s’effondre autour de lui.







Ra fait dans l’épique, dans la charge frontale, plus émo que guerrière, plus mélodique que criarde. Et cela se sent dès le premier morceau, bien nommé Entrance vers l’orphelinat, lente progression hantée, fait de synthés qui copulent, de nappes grondantes, de zébrures épiques. Et un rythme implacable, qui vrille parfois, qui tabasse avec violence. On pense Raoul Sinier déjà parti dans ses instrumentaux vengeurs, mais au moment où l’on s’attend à une explosion incontrôlée, le morceau glisse vers une musique de chambre cristalline, flippante, belle comme la mort, 1 minute de conclusion à flinguer bien des colonnes. Alors on se dit que ce nouveau LP de Raoul commence drôlement bien, et que cet amateur de bière risque de marquer, encore une fois, au fer rouge.

Mais Raoul Sinier s’est découvert, depuis quelques disques, des velléités plus pop. Je ne dis pas qu’il en fait, mais le bonhomme s’autorise enfin à se lâcher niveau litanies, à ne plus forcément partir dans la destruction furibarde. A faire des fresques avec des couplets, des refrains, des putains de mélodies. Comme un Apparat sorti de l’enfer, le couteau entre les dents, à vouloir dessouder tes enceintes. Dans cette recette du morceau chanté et à chanter, Ra a fait des tests, des expériences, souvent superbes (She is a lord, The Night, The Hole, Too Late…) parfois moins concluantes (quelques petites sorties de routes dans les aigues pas vraiment dommageables, mais qui peuvent écorcher les oreilles des plus tatillons). Et dans cette quête, volontaire ou non, du morceau parfait, de la composition qui arrache les viscères et dresse les cheveux, je pense que Raoul Sinier vient de trouver l’équilibre avec A Million Years. On était déjà proche du but avec She is a Lord du précédant disque. Mais il n’y avait pas ce dosage optimal que l’on retrouve sur ce nouveau morceau.

A Million Years commence par un rythme fou, un des plus hiphop entendu depuis un bail chez Ra, et ce chant désabusé, anémié, qui joue au ping pong avec une guitare imparable. Un gimmick, “life is good, life is nice, and she will cut off your…”. Et là c’est monté ultime, explosion, cyclone d’orgues, la terre s’envole sous tes pieds et tu te mets à hurler. Break jouissif, on part sur une mélodie au piano, à chialer, toujours pilonnées par ces beats ultra massifs.  Et Raoul se remet à chanter, te pond un classique electro-émo-pop-industriel-experimental-rock-depressivo-candide. Merde, ça tu peux le chanter sous ta douche. Sans problème. A tourner la bite à l’air, au chaud dans ton peignoir, à regarder la ville bruler au travers de ton vasistas. C’est ça qui est fort sur ce morceau. Qui est peut être la track la plus aboutie de Raoul Sinier. C’est qu’elle fait convoler l’hysterie des débuts avec la science mélodique catchy des derniers disques. Et qui représente bien le paradoxe qu’est Raoul Sinier, ce crooner mélancolique qui pourrait pousser la chansonnette dans un cabaret, mais qui ne peut s’empêcher de tout cramer. On le voit dans le clip du morceau, Coldplay du pandemonium, en slip dans son appart, écrasé par des cranes géants. Ce qui porte ce morceau, c’est aussi sa rupture. Car quand le tout se brise et part sur la complainte du marin imaginaire, t’es obligé se sentir ta moelle épinière vibrer. Tube de stade, oui. Mais avec 80.000 personnes qui s’éviscèrent au son des orgues, un public en furie qui s’arrache la gorge et s’envole vers le soleil. Bref, un truc épique et beau.

Cette science de la rupture, elle se retrouve sur quelques morceaux de Welcome To My Orphanage. C’est elle qui sauve The Good Ones. C’est elle qui fait passer cette track ombrageuse au chant presque dérangeant, en fresque folle, quasi homérique : mélodie en roue libre, église qui déboule dans ton salon, rythme incroyable, voix qui hulule en fond sonore, qui crache ses intestins jusqu’à s’étouffer. Cette deuxième partie de morceau est abusée. Elle tombe quasiment comme un cheveux sur la soupe, et brule tout au napalm. Seule, elle n’aurait pas de sens. Après la cavalcade fulminante du départ, elle confine au sublime. Tu rampais dans les égouts, et te voilà à planer au milieu des nuages, avec un putain de soleil qui te grille la gueule. Peut-être le meilleur moment du disque, aberrant et complètement inattendu.





La propension de Raoul Sinier à se muer en homme orchestre impressionne aussi de plus en plus. Au départ prostré sur ses machines, le mec semble devenir graduellement un vrai rock band à lui tout seul. Certains morceaux ne feraient pas tache sur un disque avec un line-up de 4 zicos chevelus. Pire, certains groupes doivent se demander comme un petit gars de Paris coincé dans son appart peut sortir des trucs aussi massifs. La grandiloquence de My Orphanage impressionne, entre cordes tire-larmes, synthés dépressifs, guitares appuyées, orchestre qui n’en fini plus de tanguer, et un Raoul Sinier qui pousse la chanson au milieu. Alors on se plait à l’imaginer en concert, assis devant un piano, avec une demi douzaine de musiciens qui s’agitent derrière pour balancer le mur du son. Il va falloir recruter et faire une tournée massive à la The Strokes.

Le bonhomme se permet même un exercice assez étonnant en filant un vrai morceau pop calme et cristallin, The Fine Lines, forcément très lié à ce que pourrait faire un Thom Yorke. Vrai morceau, vraie chanson, car couplets / refrains, car gimmicks entrainants (les petits “ooohouuuahhoooh”), car mélodie évidente, sans destruction, sans explosion facultative. C’est presque minimaliste de la part de Raoul Sinier, et ça marche pourtant superbement bien, entre ce rythme hiphop nickel et cette mélopée candide du premier tiers, qui va doucement échouer sur des synthés plus electronica. Le morceau n’évitera pas la petite progression anxiogène en conclusion, mais tout est dans la retenue, dans le contrôle, dans la finesse. Le musicien avait l’habitude de nous envoyer des parpaings en pleine tronche, il ne se contentera que de nous frôler avec une plume sur ce morceau. Et c’est cette modération étonnante de la part de Raoul aka chaos-man qui drague l’échine, et fait de The Fine Lines l’un des morceaux les plus réussis du LP.

Mais il ne fait pas que minauder sur le disque, et balance aussi ses sempiternelles ogives instrumentales. Et bonne nouvelle, le musicien (on le sentait déjà sur Guilty Cloaks) abandonne les escapades trop guerrières et théâtrales. Attention, on est encore dans un trip de sacré sauvageon, mais Ra semble désormais plus facilement privilégier l’émotion à l’emphatique. On avait parlé du morceau d’ouverture, mais il y a aussi Screw & Bandages fera pleuvoir arpèges de synthés candides et cavalcade ultra sombre, grésillant de grattes électriques, avant de filer dans un tunnel bourré d’échos complètement flippant. Ambiant industriel, barrissements hydrauliques, le morceau se nécrose sur une deuxième partie en mode longue chute dans un gouffre insondable.

Where You Are confluera parfaitement l’album, avec une très belle boucle beatless qui avance vers nous comme du magma, tout en distillant une mélodie émo façon Hier Soir, parasitée par une voix gutturale de plus en plus présente, cette dernière emplissant graduellement l’espace jusqu’à nous faire exploser le cerveau. Sensation assez similaire à certaines nuits d’insomnies où tous les sons s’amplifient jusqu’à nous rendre fou.

Au final, pas vraiment d’écueil sur ce disque, seul Cleaning Man me crispe méchamment, les répétitions épileptiques de piano m’ayant toujours dérangé, et cela depuis que j’écoute de la musique. Le morceau s’arrange dans son milieu, mais l’introduction me ponce trop la caboche pour pouvoir accéder au reste le sourire aux lèvres. Analog Sh*t avec Mr Robot en featuring n’est pas indispensable non plus, même si le concept du morceau donne surtout envie d’entendre de “vrais” MC poser à nouveau sur les instrues torturées de Raoul Sinier, comme il y a quelques années. Car avec les teintes nouvelles des compositions du parisien, le résultat pourrait être complètement fou.






Ra continue à creuser ses tranchées, affinant album après album sa recette d’une musique sombre, progressive, grondante, et pourtant plein de lumière. Une lumière blafarde, de bout de tunnel, mais jamais froide. Là où certains musiciens opèrent un changement radical d’un album à l’autre, Raoul Sinier imprime une progression logique, tendant de plus en plus à quitter les terrains abstraits pour des chansons en mille-feuille. Des bizarreries, il y en a toujours (Where You Are, Bandages, Ruined Map…). Des tubes, il y en a encore plus. L’album brille par ses déchirements, ses changements soudains (ou progressifs), ses envolées épiques, ses prises de risques. Ce coté one-man band aussi, donnant un coté ultra riche aux compositions, frôlant parfois la rupture, sans jamais déborder. On se plait presque à imaginer un Raoul Sinier évoluant sur scène en tenant son micro, avec derrière lui toutes ses créatures en rang serré, radis-ninja derrière le synthé, whaleman sur les fûts et deux robots à la guitare/basse.

Si Welcome To My Orphanage est peut être plus irrégulier que le fou et monolithique Guilty Cloaks, ce nouvel album contient des tours de force, des mandales implacables, presque tubesques, constituant parfois les meilleurs morceaux qu’ait pu pondre Ra jusqu’à maintenant (The Fine Lines, A Million Years, The Good Ones et son segment final…).

Chanter du Raoul Sinier sous sa douche avec des feux d’artifices dans la tête et des papillons dans le ventre, c’est maintenant possible. Et bordel, c’est ce que j’attendais depuis longtemps.






Raoul Sinier – A Million Years






Raoul Sinier – Ruined Map






11 Titres – Good Citizen Factory

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  1. SunRicq Says:

    Salut Dat’ voilà un bout de temps que je lis tes chroniques avec grand plaisir. Merci de ton travail, tu écris vraiment très bien. Et merci de me faire découvrir des choses. 🙂

    Je poste ce commentaire pour te conseiller d’écouter ce morceau :
    http://www.youtube.com/watch?v=VyVD951HadI
    Si tu ne connais pas cela pourrait te plaire, dans la même veine que Hybrid Theory.

    Bonne continuation. (je poste ce com’ sur la dernière chro pour être sûr que tu me lises)

  2. Ropearound Says:

    Album de fou!

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