Autechre – Oversteps



Good news, everyone !






Il est de coutume de dire qu’avant d’apprécier un album Autechre, d’en tirer sa substantifique moelle, il faut de longues et intenses écoutes, pouvant s’étaler sur plusieurs mois. Un truc sérieux, à planifier ses congés pour se réserver une semaine de réflexion en autarcie totale, avant de s’accorder le droit de modeler ne serait-ce qu’une brève appréciation du produit final. Les courageux se risquant à une timide critique se prendront une volée de cinglants “Tu n’as pas aimé ? Tu ne l’as pas assez écouté !”

Si la domination du duo Anglais sur mes écoutes électroniques mutante est pour moi une évidence, le précédant, Quaristice, m’avait méchamment frustré il y a deux ans. Et me frustre toujours. Frustré d’entendre des morceaux de folie se barrer au bout de deux minutes (l’immense Plyphon, pour ne citer que lui), frustré d’entendre des idées géniales se dérober sans crier gare, frustré de n’avoir dans les tympans que des vignettes, là où le tout aurait pu aisément s’épancher dans la fresque épique.
Et perdu aussi, désorienté par les multiples versions alternatives / bonus / additionnelles / accessoires de l’album. A ne plus savoir démêler le vrai du faux, l’original et la refonte, et au final avoir le sentiment grandissant que Quaristice, malgré ses morceaux de tueurs, n’était qu’un gigantesque puzzle ayant l’air sympa mais se révèlant fastidieux à faire, un album en pièces détachées à monter soi même.

Reste que ce dernier annonçait mine de rien une évolution pour le son du groupe, quelque chose de plus direct, plus accessible, qui pouvait s’annoncer dommageable ou passionnante sur l’album suivant

















Derrière cet artwork invitant à plonger dans un monde opaque et ténébreux, se trouve un bien joli digipack cartonné (une première pour le groupe ?) se dépliant à n’en plus finir pour déboucher sur une couleur verdâtre bizarre, alignant un tracklisting écrit en police 36, le tout étant toujours élaboré avec classe par les Designers Republic. L’artwork semble d’ailleurs donner quelques pistes sur l’album, en alignant quelque chose de plus organique, presque peint à la main, là où Autechre se complaisait dans les signaux informatiques depuis une poignée de sorties.



A dire vrai, j’ai un peu fait la gueule à la première écoute des 5 premiers morceaux. Mauvaises conditions peut être, car écouté directement des la sortie du disquaire, entre deux bagnoles qui klaxonnent, et puis un métro peu avare en crissements. Au final, R ess, montée crépusculaire avec son rythme bizarrement soutenu bien que claudiquant, ne m’enflamme pas des masses. (Même si je sens que je vais apprecier ce morceau dans quelques temps) Tout comme Pt2ph8, pas foncièrement engageant, un peu trop ribambelle de piou piou tournant en rond, et Qplay, qui après une très belle intro, se la joue un peu trop Autechre par Autechre pour Autechre.

Heureusement, au milieu, il y a deux bombes. Ilanders va sortir la grosse artillerie, pour broyer le filet d’émotion semblant perler du Chaos. Dans ses grandes lignes, le titre est fracturé en mille morceaux par un rythme saturé, crépitements épileptiques, giclant dans tous les sens. Au milieu, une mélodie de 5 notes qui répond à des espèces de nappes ambiant vraiment belles. Cette litanie, qui fond irrémédiablement vers ces plaintes fantomatiques, se fait écharper par la mélasse industrielle courant sur tout le titre sans jamais faillir. Un petit synthé aigu tente de faire diversion, mais c’est bien ces 5 gammes décrites au dessus qui m’impressionnent, m’obsèdent, m’hypnotisent. On à l’impression de ne pas avoir bougé depuis le début du morceau, et pourtant je trouve la fin majestueuse. Grand.

L’autre épopée de ce premier tiers d’album est l’alien Known(1), proposant un exercice peu arpenté chez Autechre. Démarrant sur une introduction limpide, à base de simili-clavecins, on a l’impression que le duo anglais va nous balancer son premier morceau Techno pour stades. Ca fleur bon la dance pute, le tube mainstream. Il ne manque plus que le gros pied de bûcheron pour secouer le tout. On ne l’aura pas. A la place, un synthé complètement détruit, réminiscences Hit Machine défigurée, brulée à l’acide, va ramper en gémissant, se roulant sur la très belle et accessible base de départ. Chanson passant sur Nrj qui se retrouve coincée dans un micro-onde, ou voix de chérubin écartelée par les machines de Brown & Booth. On pourrait presque imaginer un morceau de r’n’b avec une chanteuse déchirée en deux, qui couinerait à n’en pus finir en tentant de récolter ses viscères, pour finalement crever sans prévenir (Le morceau s’arrête bien soudainement). Hallucination étrange, quasi narcotique si l’on écoute le tout en pleine nuit.








Alors certes, la première partie de l’album ne m’a convaincu qu’à moitié, mais des l’arrivé de See On See, Oversteps s’envole, pour ne quasi plus redescendre. Ce morceau confirme l’envie soudaine pour le groupe de balancer des mélodies assurées et quasiment perceptibles par tous. Et assumer une petite filiation avec Plaid, en construisant des chapelets d’harmonies à base de “Bells” cristallines. Pour See On See, il n’y aura que ça, les notes glissant sur nos tympans comme la pluie sur une fenêtre K par K. La partie qui débute le morceau, et qui revient bien souvent durant ce dernier, est à chialer tellement elle est belle et pure, même si pas mal de gens trouveront ça fatiguant. Perso, je suis super client, et poser un morceau pareil au coeur d’un disque qui, même si plus facile d’accès, reste du Autechre, est une idée qui frise le génie.
Bulle d’air, ôde à l’évasion, colonie de vacance avec les anges, le morceau nous donne l’impression de se noyer dans une bouteille de Perrier, avec tout plein de bulles qui viennent te chatouiller les côtes. Tiens les commerciaux de la boisson française devraient l’utiliser pour leur prochaine campagne, mettant en musique une coulée de breuvage passée en slow motion, avec en arrière plan des gens contents, des lèvres roses pulpeuses brillantes de gloss qui s’ouvrent au ralenti en approchant de la bouteille, et un soleil éclairant une herbe verte comme la mort, dont la couleur vivifiante nous donnera, à tous, envie de courir en hurlant vers le supermarché du coin pour se foutre de l’eau gazéifiée plein la fouille. Ouai.

Et comme Booth & Brown ne sont plus des amateurs depuis un bail, ils alignent juste après cet adorable moment l’une des grosses tueries du disque avec Treale, histoire que tu te prenne le tout bien dans la gueule, forcément mis en valeur par le contraste entre les deux entités. Autant le dire tout de suite, je me suis fais arraché l’échine à l’arrivé de l’espece de synthé aigue, qui intervient au bout de 20 secondes, avat de se barrer trop rapidement. Cette entrée en matière est sublime, et déboule sur un long tunnel abstract ultra sombre, pesant, marécage menaçant qui progresse graduellement en buggant de partout. Moitié du morceau, on ne déconne plus, un rythme Hiphop pachydermique déboule et casse tout ce qui bouge. La grosse mandale, le robot géant qui écrase ta ville, réduit tout en bouillie. Sauf que petit à petit, la mélodie famélique semblant aléatoire se construit, et balance, sur la dernière minute, une litanie à chialer, pure et parfaite, zigzaguant entre les attentats rythmiques et coups de butoirs de machines déchainées. Vraiment, une conclusion superbe, qui pourrait clairement glisser sur les tympans si l’on ne fait pas gaffe, mais qui retournera les coeurs si l’on accepte de s’y plonger.

Os Veix 3 s’amusera lui aussi à pétrir notre palpitant de la plus belle des façons, mais en calmant le jeu, s’amusant à jouer à la fausse accalmie, en balançant rythme étouffé, cisaillements en tout genre, bruit blanc et petite mélodie émo. On croirait presque entendre un Alva Noto qui vient de prendre de la drogue. C’est pas évident, mais c’est drôlement beau, surtout au casque. (Par contre, à écouter au calme, car l’on a l’impression que le volume génral du titre est plus bas que les autres, vu les sons utilisés, tous ecrasés.) Cet amas post-apo désertique va laisser perler petit à petit des crissements cristallins vraiment beau, sorte de vie nouvelle, petit androïde innocent sortant des décombres, nouvel espoir après une guerre des robots semblant bien plus bordélique et violente que celle de Christian Bale. Tu l’écoutes dans le métro, tu te fais chier. Tu te le passe au casque à 4 h du mat’ nuit noire parce que tu n’arrives toujours pas à dormir, tu chiales parce que c’est beau, fragile, et ciselé à la perfection.








O=0, à l’instar des précités See On See ou Known1, se la jouera beatless (ou presque), en ne se développant qu’a travers synthés polissons et nappes facétieuses. Car ici, point de sonorités en train de se faire dépiauter à la perceuse, Autechre entérine l’envie de faire rêver les foules, et nous balance encore un morceau très proche des expérimentations de Plaid (O=0 étant d’ailleurs celui qui s’y apparentera le plus) Clochettes qui s’envolent, le rythme sera discret et écrasé, noyé dans les claviers évidemment parfaitement foutus. C’est joli, pas extraordinaire, mais tellement bien branlé que l’on écoute le tout en rêvassant avec un plaisir non feint.
Oversteps se terminera d’ailleurs, choix étonnant, sur trois morceaux sans réel rythme, mais clairement généreux en mélodies célestes. Le très beau RedFall télescopera harpe cristalline et déchirures noises affolantes, KrYlon (seul petit coup de mou de cette deuxieme partie d’album) occupera sympathiquement avec de grandes paraboles ambiantes, elles aussi chatouillées de cordes pincées électroniques. Mais c’est Yuop qui cassera les échines en laissant des claviers angéliques et fragiles se faire bouffer graduellement par une coulée de lave noise. La progression est superbe, à filer le vertige, véritable cathédrale sonore, superbement bâtit, avant de mourir à petit feu, comme dans tout bon disque d’Autechre.

Mais entre ces colonnes mélodiques se trouve le monument incontestable de l’album, le vrai tour de force, la violente punition : D-sho Qub.
L’intro est accueillante, mélodie affable ressemblant à un steel-drum passé sur une pédale à effet. Le rythme déboule et ça te frappe en pleine la gueule. La profondeur sonore est incroyable, les reverbs giclent de partout, la grosse folie, c’est même plus de la 3d, c’est carrément un monde qui se créé dans tes oreilles, à coté, même Cameron est vintage. Plus étonnant encore, on entend perler à l’horizon des voix, choeurs religieux tentant de se faire une place au milieu de l’apocalypse métallique. Petite pause, on a la confirmation que la chorale d’une secte vient de s’interposer chez Autechre. Les mecs font leur prière, mais les robots sont là pour annihiler la chair, et quand le bordel reprend, c’est à tomber par terre.
Sincèrement, les effets, les rythmes, les sonorités, tout est MONSTRUEUX. C’est l’apocalypse totale, ça part dans tout les sens, on retrouve enfin notre chère machine en mutation, souffrant, hurlant, vrillant, se tordant dans nos tympans en changeant d’allure à chaque seconde. Elle tonne, frappe, puis s’emballe, avant de se nécroser et disparaître. Quand tout s’éteint, on est complètement éberlué, laissé pour mort, avec pour seul compagnie ces choeurs bizarres, presque gothiques, chantant pour notre salut sur plus de deux minutes. La messe satanique selon Autechre. Pour moi, D-sho Qub est clairement le meilleur titre de la galette, et l’une des meilleures nouvelles pièces du duo anglais.











Evidemment, la première chose qui frappe quand on écoute ce Autechre, c’est son aspect mélodique, plus immédiat, plus aéré. Et cette direction prise n’est pas une mauvaise chose, après les étouffants chefs d’oeuvres proposés depuis le début des années 2000. La précédente décade d’Autechre était claustrophobe et pesante, celle si s’ouvre sur quelque chose de plus candide et accessible, sans mettre au ban la richesse des compostions de Booth & Brown. Petit revers de la médaille, ce qui frappe aussi clairement, c’est que ce Oversteps n’a plus ce coté incroyablement vivant dans ses sonorités, ce son mutant impressionnant, quasiment organique, qui façonnait les disques du groupe depuis Confield. C’est aussi pour cela que l’affolant D-sho Qub se détache des autres, étant le seul titre à avoir encore cette patte sonore complètement dingue, en 4-dimensions-je-fais-l’amour-dans-tes-tympans, alors que les autres partagent un aspect plus brut, sec et carré. (A dire, vrai, la piste japonaise bonus Xektses Sql est elle aussi bien foutue, mutation crasse et sombre d’une machine grondant comme jamais, mais l’intérêt de cette dernière est détruite par le trop long fade-in/fade-out du morceau. En gros, on a 1minute intéressante et hypnotique, au milieu de deux minutes de réglage de volume, rendant donc le truc vraiment dispensable)
Il faut aussi se faire à l’idée que le tiers de l’album est beatless, mais pas dénué d’aspérités, les synthés se chargeant d’insérer quelques éléments percussifs et ligne de basse aux grès de leur cavalcade. On se retrouve avec des compositions à la Bernard Fevre ou Plaid, avec des synthés qui partent dans tous les sens d’une façon presque candide, parfois simples en apparence, mais rudement riches au final (On est à l’opposé des morceaux ambiant peuplant le disque précédant par exemple, sur Oversteps, on tape dans le mille-feuilles de claviers).

Mais passé l’étonnement de ré-entendre un Autechre plus direct et moins scientifique, on ne peut clairement que prendre son pied à l’écoute d’Oversteps, ramenant le duo dans un écrin plus concret, chose qui devrait ravir beaucoup de gens s’étant perdus après la métamorphose du groupe en musique de laboratoire de fou furieux. Moins mathématique donc, et aussi plus ouvert sur la musique, l’album finissant clairement de convaincre les derniers sceptiques sur l’intérêt que porte le duo aux instruments africains et asiatiques. On a vraiment l’impression d’entendre du Steel-drum, Koto et autres Balafon recréés informatiquement, donnant une richesse mélodique assez incroyable au disque. On pourrait presque croire que les anglais ont carrement enregistrés ces instruments, pour les passer au filtre electro en post-production.



La chose la plus importante dans ce Oversteps reste que malgré un tracklisting fourni, l’album prend le contre-pied d’un Quaristice, en donnant de nouveau de la place à ces idées. Ici, point de vignettes géniales mises à bas après deux minutes. Les morceaux ont un schéma, et s’y tiendront tout le long de leur déroulement. La frustration du précédant laisse place à la contemplation, et l’on peut enfin apprécier des titres sans avoir peur que ces derniers se barrent s’en prévenir. L’album prouve que concision ne rime pas forcément avec charcutage et ébauches posées les unes après les autres. Ce qui est n’est pas gagné quand on est habitué aux grandes fresques façon Tri Repetae ou l’immense Untilted. Apres comme d’habitude avec le duo, balancer un avis sur l’album est toujours bien personnelle l’appréciation diffèrera réellement entre les personnes, beaucoup de personnes portant par exemple aux nues Ress et délaissant See On See, alors que c’est le contraire pour ma pomme.

Alors ce Oversteps est certes plus calme, moins impressionnant au niveau de sa dimension sonore/production (c’est un peu dommage, D-sho Qub étant là pour nous le rappeler) mais il aligne au final de grands morceaux, qui forment un album réellement passionnant, superbement mené et, (c’est une première) possible à écouter dans un bagnole la nuit avec ses potes, sans que ses derniers ne ressentent le besoin de s’égorger avec un couteau en hurlant.

Le groupe s’émancipe un peu de son image de laborantin, pour nous envoyer dans les nuages. Il fait beau sur la mégalopole Autechre, qui est toujours futuriste mais moins dans la dystopie. Les mutations organico-mécaniques lâchent les armes, se calment, et prennent le temps de rêver. Excellent disque.














Autechre – Redfall













15 Titres – Warp / Beat
Dat’









  1. Litto disposable Says:

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