Le problème majeur des somnifères, c’est de nous faire oublier graduellement qu’il est normal, parfois, de mal dormir.
Le nouvel album de Portishead, je l’ai attendu comme un damné, en me disant presque, à la première écoute, que je pouvais maintenant mourir tranquille. Pour le Massive Attack, l’attente fut rude, à filer dans les rayons disques comme le vent le jour de la sortie. Pour le Plaid, je me mets à genoux tous les matins, pareil pour le prochain The Avalanches, qui sortira bien un jour. Mais alors Seefeel, franchement, c’était oublié. J’avais pas mal écouté ce groupe il y a une dizaine d’année pourtant, avec surtout la galette sortie il y a 15 ans (!!) sur Warp, dans ma grosse période boulimique du label. Mais le groupe est passé petit à petit dans le néant, à coté d’autres sorties de la même maison comme Brothomstates. (si l’on excepte la petite et timide piqure de rappel pour le Warp20).
Bref, je ne sais pas ce qu’a fait le groupe tout ce temps, mais après avoir fait un concert pour les 20 ans de Warp, Steve Beckett a réussi à convaincre les anglais Seefeel de répondre un album. Line-up ayant changé, car intégrant 2 batteurs japonais, dont un ex membre des Boredoms, carrément.
Et si l’artwork fait très Boards Of Canada, les fresques concoctées par Seefeel sont beaucoup plus secouées que celles des écossais disparus. Comprendre ce que nous reserve la galette, c’est avec Dead Guitars qu’il faut commencer, génial titre grondant, boule de haine menaçante et camée, entre batterie sèche comme la mort, guitares électriques en fin de vie et bassline monstrueuse. On a l’impression de s’engluer dans les parasites, les rugissements de la guitare sont jouissifs. Et le morceau n’en finit pas de monter, d’une façon presque infime, on a l’impression que le tout fait du surplace, mais des détails fusent à foison. Sans oublier cette voix, cristalline, vaporeuse, très shoegaze, qui hulule, difficilement discernable au départ, noyée dans les claviers, pour finir en plaintes quasi-religieuse. Progression dégueulasse, ornée de guitares qui crissent, se cabrent, implosent. Avec comme conclusion un rugissement absolu, ultra noisy, orgasme pour tympans.
Et tout le disque va se dérouler de la sorte, balançant une musique difficilement descriptible, sorte de Rock minimaliste qui tente de se la jouer abstract, ou electronica-hiphop qui veut se la jouer Shoegaze. Pas franchement de mélodie avec ces guitares. Juste des grondements, des fréquences, des soubresauts. Il n’y a pas vraiment de genre, pas de repaire, certains vont bien s’amuser à essayer de classer le disque.
Le groupe pousse parfois loin le délire du télescopage des genres, comme sur Making, abstract-hiphop-shoegaze, avec guitares qui tente de détruire les murs, batterie qui claque comme une Mpc et scratchs ( ??) acérés pour secouer le tout. Sur le tout, la voix de Sarah est plus affirmée, rayée par les effets, pour un ensemble qui avance comme une coulée de boue, crise de nerf noise qui ne demande qu’à éclater, laisser échapper de ténus accès de rage sous son coté hypnotique et rassurant. Avec Airless aussi, superbe morceau en apesanteur, mais complètement dérouillé par les effets electronica, une bassline d’enfoirée et une guitare qui ne peut qu’assister avec tristesse qu’au massacre de ses propres cordes. Comme sur la majorité des morceaux du LP, on a l’impression que le tout stagne, s’enfonce, étouffe, overdose de boucles, d’effets. Et pourtant, tout se construit avec préciosité, édifice noise, c’est riche à en crever, et débouche sur un climax cristallin foutrement beau.
Et le groupe sait aussi partir sur une facette moins gargouillis-Idm-expérimentaux pour offrir un pendant plus Shoegaze. Rip-Run, sous son beat Hiphop massif, balance une superbe complainte aérienne, à raidir la colonne vertébrale. La voix de Sarah se mélange aux synthés façon chant de sirènes, difficile de distinguer qui fait quoi. Puis le morceau plonge dans un abstract salace, cordes qui lâchent quelques notes presque aléatoirement, c’est franchement superbe, la mélodie revient petit à petit, mais le chant ne s’infiltrera plus, remplacé par des grésillements lugubres. Faults, premier extrait du disque, est aussi beaucoup plus aérien et apaisé, avec un visage plus tribal, moins menaçant, berceuse viciée par quelques attaques rugueuses, avant de tirer vers le dubstep chelou grâce à un ronflement monstrueux. Le groupe s’autorisera même quelques complaintes shoegaze-ambiant, avec pour seul son une guitare mugissant dans les échos et les pédales à effets. Souvent brèves vignettes (Step-up, O-on one…) ou longue tirade slow motion (Aug30), ces morceaux sont parfaits pour poser un peu le disque.
Sway plus longue fresque du disque (et l’une des plus belles) du haut de ses 10 minutes, avec son introduction géniale, paraboles grinçantes et larsens cradingues, tentant d’écraser une voix d’ange. On a encore des scratchs non identifiés, fusant comme des poignards, des bruits qui surviennent de nul part, jamais les mêmes, comme si les boucles s’éprenaient elles-mêmes d’une envie d’improviser. Un morceau extrêmement cadré, maitrisé dans les moindres détails, qui prend le parti de mourir à petit feu : les sonorités, au contraire du reste de l’album, qui ne s’empilent pas, mais se dérobent une à une pour laisser une longue trainée de guitare sonner seule, se faisant graduellement bouffer par les parasites noisy.
La bonus track japonaise, Two Jam, repartira sur un terrain plus expérimental et déstructuré, avec une rythmique beaucoup plus sauvage, des hululements mystérieux, de grosses zébrures noisy à faire trembler un immeuble entier, avant de tomber sur une belle conclusion, chœurs macabres souillés par les machines.
Etonnante mixture que ce Seefeel. A dire vrai, cet album est surement la livraison la plus expérimentale sortie sur Warp depuis un bon bout de temps. Pas évident à la première écoute, pas fait pour plaire non plus, trop neurasthénique, grondant et hypnotique. Les anglais balancent de grosses guitares bien dégueux pour construire des structures IDM-isées. On à l’impression d’entendre Pale Saints se la jouer electronica-hypnotique, ou surtout CircleSquare se la jouer abstract-dubstep minimaliste. (impossible de ne pas penser au Canadien sur certains morceaux de ce Seefeel, avec cette musique faite avec presque rien, sinon des guitares électriques mourantes et des rythmes d’une sècheresse absolue). Cette constante mutation, cette évolution géniale dans chaque morceau qui fourmillent de détails donnent un ensemble fascinant. A écouter très fort, ou au casque.
En utilisant les mêmes éléments, en tabassant quasiment tout autant, ce Seefeel se pose pourtant presque comme le négatif/l’antithèse de Salem. C’est le bonhomme mélancolique, qui pleure encore dans une photo de son ex-petite amie qui a les cheveux au vent et le soleil dans le dos, là où son frère hardcore se branle dans les parkings pour éjaculer sur les poignées de portes des bagnoles. C’est aussi pour cela que tout le monde va s’en foutre de ce Seefeel. Parce qu’être romantico-neurasthénique, ça ne marche plus, ça n’interresse plus grand monde. Il faut absolument vomir du sang, pas des mots doux.
C’est beau, meurtri d’une violence sourde et grondante, c’est superbement construit, passionnant, riche à filer le vertige, et ce n’est surtout pas le plus mauvais des disques pour pleurer la disparition de Broadcast.
12 titres – Warp / Beat Records
Dat’
This entry was posted on Sunday, February 13th, 2011 at 2:35 pm and is filed under Chroniques. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.
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ah quelle douce violence,si en plus tu compares avec circlesquare…….je vais m’y intéresser de près
en lien un mix de clark http://soundcloud.com/throttleclark
Bon… Bon bon bon bon bon…
Je ne me suis pas penché vraiment sur l’album pré cité mais je me devais de pousser une gueulante ici ! ca doit faire 5 nuits d’affilée que je me couche à pas d’heure en jumpant d’une chronique à l’autre sur ce magnifique site. Étant un grand fan d’aphex, venetian snares et the flashbulb et autres torturés schizoïdes des machines je dois dire que vadrouiller dans tes chroniques c’est comme se retrouver dans un génial magasin de bombec drill/idm/electronica/beats qui dérouillent le squelette/ mélodie à crever de bien etre etc… et le moins que l’on puisse dire c’est qu’on en redemande !!
Merci pour les trouzillions de découvertes qui sont passée par la lecture de tes lignes (et encore il m’en reste pas mal!)
Pas merci pour les nuits blanche, l’Ipod qui couine sous les découvertes qui s’entassent, l’organisation de bureaucrate nécessaire pour découvrir correctement 16 nouveaux artistes en même temps (ca me rappelle le visage blême que j’ai eu en voulant naïvement faire un petit tour général de la discographie de venetian snares après en avoir découvert un premier morceau… j’en ai bouffé pendant des semaines pour faire le tri ^^).
En bref très longue vie aux chroniques automatiques ! Continue de nous faire partager tes coups de cœurs avec ta retenue habituelle (^^)
J’ai un sentiment très mitigé sur ce disque. Il a vraiment ses moments de gloire (Airless en tête), mais à certains moments j’avoue que j’oublie que j’écoute de la musique, je ressens comme une absence. Je l’écoute toujours au casque, mais l’immersion est dure, je ne ressens pas autant que sur un Salem (que tu cites justement).
Il me faudrait peut-etre une écoute dans la nuit totale, sans écrire, sans lire, sans rien.
funky 5 ==> Ah ouai bien cool ce mix… J’espère que le bonhomme a prévu au moins un Ep pour cette année !
Alexis Kokoon ==> Hey merci vraiment pour ton message, et pour ta gueulante ! Désolé pour tes nuits, mais c’est avec plaisir quand meme… Content que tu apprécies ma “retenue” ahah.
Dirty Epic ==> Je ne sais pas, je me suis vraiment pris ce disque dans la poire. Vraiment, j’adore, il m’a surpris en plus, je ne m’attendais pas à ça à la première écoute… Apres oui c’est un disque de nuit, à écouter bien fort. Le Salem, je l’ai trouvé plutot bien, mais il ne m’a pas vraiment marqué au final. Apres quelques semaines, je n’ai plus trop envie de l’écouter, je ne sais pas pourquoi…
Dat’
Whou, je viens de mettre Dead Guitars, le morceau est incroyable ! Franchement, je n’aurais jamais cru que ce serait Seefeel le responsable ! Incroyable ce changement ! Ca donne grave envie d’écouter le reste. Je bloque depuis des années sur un cd d’eux paru en 1996 je crois , Ch-Vox (sur rephlex), un e.p terrifiant ou les sons sourds résonnent dans ta pièce qui se retrouve envahie par des spectres électroniques,brrrr !
Whou, je viens de mettre Dead Guitars, le morceau est incroyable ! Franchement, je n’aurais jamais cru que ce serait Seefeel le responsable ! Incroyable ce changement ! Ca donne grave envie d’écouter le reste. Je bloque depuis des années sur un cd d’eux paru en 1996 je crois , Ch-Vox (sur rephlex), un e.p terrifiant ou les sons sourds résonnent dans ta pièce qui se retrouve envahie par des spectres électroniques,brrrr !
oui effectivement, le changement est étonnant, mais franchement reussi !
Je n’ai jamais écouté leur Ep sur Rephlex par contre, j’étais resté sur le précédant sur Warp, tu me donnes envie d’aller voir ça.
Et n’hesite pas à sauter sur ce nouveau disque. !
dat’
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