Usé jusqu’à la corde
En deux ans, je suis rentré 2 fois en collision avec Crystal Castles. Un hasard complet la deuxième fois, et lors d’une soirée organisée par des potes il y plus d’un an pour la première. J’en avais entendu des choses, sur Crystal Castles : Le groupe était ingérable, défoncé 24/24, ultra tatillon, et assimilable, pour résumé, à une belle bande de bidons. Et pourquoi pas ? Les deux zozos ont toujours cultivé cette image hype faussement rebelle qui a fait leur succès, à base d’interviews foutages de gueule, de concerts annulés et autres photos jouant sur la gueule atypique d’Alice (car à la base, le duo pondait une simple musique 8bit vaguement punky qui, en temps normal, n’aurait pas promis à un succès populaire).
Bref, avant même que la soirée commence, tous les signaux étaient au rouge. Mes potes paniquent, Alice s’est cassée la jambe il y a quelques jours, et CC est loin d’avoir envie de trainer dans un club pour faire un Dj Set. Malgré tout, le groupe avait assuré les concerts à Tokyo, la gambette dans le plâtre. Alors, être dans l’équipe qui gère l’arrivée de Crystal Castles, c’est forcément stressant, vu l’aura détestable et antipathique que traine le groupe derrière lui. Le public est compact, on ne compte plus le nombre de personnes au m2 dans une petite pièce, c’est irrespirable. Tout le monde attend l’entrée du duo, qui doit obligatoirement passer par la foule pour arriver au dj booth. L’ascenseur s’ouvre, les gueules sont cadavériques. Tout le monde hurle, se jette sur le groupe, on doit faire barrage comme on peut, Alice semble complètement flippée par le monstre-foule qui tente de l’avaler, elle et sa jambe plâtrée. Après dix minutes façon Moïse du pauvre, ils atteignent les platines et commence leur set. La demoiselle s’affale au fond du booth, et Ethan dicte ses ordres toutes les 5 minutes, au risque de provoquer une émeute : Eteignez la lumière, ou j’arrête immédiatement le set. Apportez nous plusieurs verres de bière, ou j’arrête immédiatement le set. Arrêtez de prendre des photos, ou j’arrête immédiatement le set. Ci-gît les dernières onces de sympathies que l’on pourrait avoir pour le groupe.
Après 45 courtes minutes au final bien violentes et enlevées, le set se termine, et intervient l’obligation de vider la salle, pour éviter de retraverser le maelstrom humain. Le processus va durer très longtemps, ce qui nous permet de converser un peu plus avec le groupe. Et l’on comprend un truc. Ils ne sont pas cons. Ils sont crevés. Morts. Exténués. Au bout du rouleau. Un japonais embusqué prend des photos du groupe, tel un paparazzi. Ethan demande gentiment si le mec peut arrêter. Peine perdue. Le musicien nous balance alors de façon laconique et abattue qu’il n’en peut plus, qu’il ne supporte plus tout ça, qu’il va peter un plomb. L’un des mecs affilié au tourneur du duo nous lance que le groupe est au bord de l’implosion. Pas parce que les deux ne s’entendent plus, bien au contraire. C’est peut être seulement grâce à ce lien que CC tient encore. Mais parce que les deux sont ballotés de pays en pays, d’hôtels en hôtels, depuis plus d’un an, sans s’arrêter une seconde, comme des pions que l’on ferait avancer sur des cases à coup de dès, cercle vicieux et éreintant des tournées ultra-intensives. Ca ne marche plus. Ils sont en mode automatique, la tête baissée, zombies de la musique. On ne va pas les plaindre, mais on comprend mieux leur mine déconfite.
La salle vidée, le groupe part vers son hôtel, Ethan recroquevillé sur lui même, et Alice en claudiquant avec sa jambe pétée. Embourbés dans un processus qui semble les dépasser.
En 2010, le groupe avait sorti un deuxième album en demi-teinte, porté par quelques bombinettes (Baptism, Empathy, Doe Deer…), mais vraiment inégal dans sa globalité. Le tout se terminant néanmoins sur le superbe I Am Made Of Chalk, meilleur morceau de Crystal Castles, et de loin, sorte de fusion absolue du duo, entre mélodies tire-larmes et râles non identifiables. Ce III, et avec l’image du groupe que j’avais dans la tête, devait être accouché dans la douleur, celui que CC allait lâcher, en bout de course, sur les rotules, après une tournée de folie.
Autant dire que l’album commence bien. Plague est absolument mortel, avec ses synthés de cathédrale, cette mélodie tubesque, ces voix qui surnagent à peine ce tabassage épique, aux claviers parfaitement placés entre Trance putassière et dance dépressive. Mais tout est diffus, plongé dans le brouillard. Je suis convaincu que ce même morceau, sur le premier album, aurait été un festival de hurlements et autres borognymes hystériques. Mais pas là. Un peu plus loin, Wrath of God donne la même impression. C’est un tube, sans contestation. Une mélodie qui défonce, une charge folle. Mais là aussi, on a une salve complètement abattue, défaite. Le soulèvement final te titille l’échine, non pas par sa violence, mais par sa beauté crevée, ce coté anthem épuisé, cafardeux.
Et ce coté à bout de souffle perdure tout le long du disque. Pas une seule grosse machine pour faire danser, pas de brûlot épileptique. Si Alice gueule encore, c’est bien loin au fond de l’eau, ou derrière un mur de béton. Noyé dans les effets, la rage est annihilée, ici semblable aux exclamations d’une gamine tombée dans un fossé, au bord de la route, la cheville foulée, une averse sur la tronche, et hurlant pour attirer l’attention des bagnoles passant à toute allure. Afin de demander de l’aide. Sans succès.
Kérosene, très belle divagation anémiée sortant un peu du carcan “gros rouleau compresseur de synthés” peut s’enorgueillir d’être l’un des tous meilleurs morceaux du disque, comme Affection qui sortira les boites à rythmes pour une balade electro-pop bien mieux portante que les niaiseries des deux précédents disques. Parce que là aussi, on a l’impression que le duo a composé ces derniers avec des sacs plastiques sur la gueule, histoire de bien s’étouffer en triturant ses machines. Oh, certes, on a toujours deux trois missives insupportables sur le disque, comme Violent Youth, et ses sonorités façon jouet Smoby que l’on espérait ne plus jamais entendre, ou Sad Eyes, qui franchit malheureusement la limite entre renoncement et putasserie si bien entretenue par les morceaux plus hauts, et se roule dans des synthés ultra crispants (voir presque inaudibles en fin de morceau).
Car c’est clairement quand le groupe me renvoi à cette image de duo au bord de l’implosion, à bout de force, qu’il réussit à voler les cœurs. Transgender est parfait dans le genre pop sous lexomil, et Mercenary fleure bon les nuits blanches entre 4 murs de béton, entre bass-music caverneuse et vocaux dans le gaz complet. Avec une bassline bien jouissive en fin de morceau, qui pourrait casser plus d’un mur de club. Sans oublier l’excellent Telepath, instrumental imparable, qui remporte la palme du morceau le plus évident du LP, tout en restant poisseux comme la mort.
L’image du groupe me saoule, et ce nouvel LP n’échappe pas à la règle. On avait l’artwork foireux du deuxième disque “bouhou on se balade dans les cimetières”, on a toujours les “bouhou on fait de la musique de cimetière”. Les prises de position à la con et postures zéro-transgressives se ramassent à la pelle, les lyrics depressivo-gothiques de ce troisième album font d’ailleurs souvent plus rire que déprimer à base de “bouhou mon enfant je vais te faire du mal”, “bouhou je dois me purifier à l’essence” et “bouhou on fait trop de la bleak music”.
Sauf que… malgré tout ce coté rebelle en carton et faussement insoumis malheureusement inhérent à CC, l’album tient la route. Je voulais juste une nana qui gueule sur des beaux synthés. Et bien c’est ce que j’ai. Et dieu sait comme les synthés sont beaux, comme les mélodies défoncent. Alice peut parler tant qu’elle veut du fait que se couper les veines c’est trop bath, on s’en fout, ça marche quand même. Des claviers bien putassiers, et des mélodies simili-émo, matinées de voix fantomatiques. Trance de dépression post-coïtale. Bonne recette. Et en suivant cette logique, c’est clairement l’album le plus cohérent de Crystal Castles.
Et ce coté complètement anéanti du disque, sans force, anémié, est presque fascinant. Comme si le LP avait été accouché en trois jours après une tournée éreintante, histoire de se débarrasser d’un poids avant de repartir pour 2 ans de voyages incessants. Je me fais surement des idées, mais pour moi, ce III est le prolongement parfait d’un duo physiquement en lambeaux. Un disque fait en bout de course, les pieds en sangs, la mine déconfite, les poumons nécrosés, bouteille d’insuline vide. Un disque privé d’oxygène mais ne manquant pas de souffle épique.
Parfois, c’est vain. Souvent, c’est beau. Mais c’est surtout la retranscription parfaite d’un groupe au bout du rouleau.
Crystal Castles – Plague
12 Titres – Fiction / Last Gang
Dat’
This entry was posted on Monday, November 26th, 2012 at 10:46 pm and is filed under Chroniques. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.
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Tiens, CC sur Chroniques Auto, franchement, je ne m’y attendais pas ! M’enfin bon, j’aime plutot bien ce groupe mais comme tu le dis, c’est quand meme super inégal (1er album super, 2eme bcp moins bon).
J’avais entendu (jusque là) que du mal de ce troisième opus, ta kro va m’inciter à aller écouter. Meme si j’avoue que je suis pas complètement convaincu sur Plague. En fait, j’ai souvent l’impression d’écouter la même musique en boucle avec CC. L’impression que leur univers est toujours le même, avec un traitement sonore (cet aspect un peu “étouffé” comme ca..) toujours pareil. Je trouve que ca les dessert… enfin bon. J’irais écouter le tout !
Et pourtant le premier disque avait été chroniqué à l’époque, en 2008 ! (ça remonte)
Oui c’est vrai que c’est souvent inégal… et à dire vrai, ce troisième album souffre moins de ce mal que les deux anciens. Car il prend le parti d’avoir un peu le même son sur tout le LP, là ou ça partait dans tous les sens avant… ça peut rebuter par contre si l’on accroche pas sur la direction du disque…
Pour les avis, il y a eu du négatif comme du positif… Goute Mes Disques ont fait une chronique assez élogieuse par exemple : http://www.goutemesdisques.com/chroniques/album/iii/
dat’
Salut,
Pour les oreilles curieuses il y a “you love her coz she’s dead” dans la veine de CC.
http://www.youlovehercozshesdead.com/
un article légèrement plus gros sur un autre site… article assez badant d’ailleurs… mais pas mauvais
http://collectifintrepide.com/article.php?categorie=3&id=26&titre=L%27AGONIE+GARGOUILLEE+DE+NOTRE+GENERATION
Effectivement, c’est long mais bien écrit.
Content de voir que l’on se rejoint sur le coté “le groupe fait des lives mais ils sont complètement détruits”
dta’
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