Klub Des Loosers – La Fin de l’Espèce


He’s about to catch wreck from diggin’ in the crates



Fuzati l’avait promis après la sortie de Vive La Vie : Pour une prochaine livraison, il fallait qu’il expérimente, afin de faire évoluer son personnage et ses textes. Il fallait qu’il grandisse, bosse et baise, pour pouvoir en parler, et ne pas se répéter. Il aurait pourtant été simple de surfer sur le succès (plus que d’estime) de son premier album, et sortir deux ans plus tard un deuxième Lp de looser goguenard. On aurait été content, moi le premier, et le mec aurait été propulsé leader du rap neurasthénique. Fuzati a préféré le statut d’oublié. Celui dont les “vieux” parlent, celui que l’on cite toujours en référence mais qui commençait à se perdre dans les piles de disques achetés au long des années, ayant laché lentement l’espoir qu’il balance un jour un deuxième album. On l’a attendu ce disque, en ce demandant si le Klub des 7 donnait des pistes sur la direction qu’allait prendre le Klub des Loosers sur ce nouvel album. Savoir si Detect allait prendre plus de place dans le groupe, histoire de cadrer un peu plus les productions et filer un peu de punch a des instrues qui flirtaient parfois avec le mauvais porno dans le premier disque. Restait l’inconnu des textes. De la hargne.

Mais si l’on pouvait deviner à l’avance les problématiques de ce nouveau disque, 8 ans après, on ne pouvait pas s’attendre à un album aussi brutal et définitif.








La fin de l’espèce commence là où Vive la Vie s’est arrêté : Le suicide est finalement raté, et Fuzati se retrouve comme un con le cul par terre, la branche à la main et la corde au cou. Les dernières innocences de l’enfance se sont envolées, aspirées par cette tentative avortée. Bonjour la vie d’adulte, et les problématiques inhérentes à la période. A dire vrai le disque tourne majoritairement autour de trois thèmes :

–        La procréation, les gosses, les mouflards, bref, la haine de ce que represente l’enfant (et l’envie d’en avoir un)

–        La chatte, la cramouille, le vagin, bref, le sexe féminin

–        Les éjac’ faciales.

Avec quelques saillies sur le boulot et l’alcool. Bon je schématise un peu. Pourtant au niveau des textes, l’album est ultra homogène, on ne peut pas dire que Fuzati a voulu tenter le grand écart putassier en choisissant 10 thèmes différents. Il veut tout vomir sur ce qu’il pense des femmes, des gosses, et de la vie en général, et il lui faudra 13 titres pour le faire. Autant être direct : Les lyrics sont dix fois plus aboutis que sur Vive la vie. Tous les mots servent, pas une phrase n’est superflue, tout est métaphore, images et punchlines de folie. Et à part Jeu de Massacre, qui ressuscite le thème de la vengeance, il y a peu de reliquats avec la période du premier Lp.

Si tous les morceaux flinguent (en mettant de coté l’inutile interlude), certains sortent du lot par leurs thèmes. L’indien, et sa complainte sur le monde du travail est mortel, et tout ceux qui ont foutu un pied en entreprise ne peuvent que hocher la tête sur chaque affirmation de Fuzati. Je ne peux même pas choisir une phrase tant la globalité du texte est golden (shower). Texte le plus universel du disque, comme si Fuzati avait mis en boite tes années de frustration en entreprise, de casual Fridays ratés, de réunions interminables et ces putains de pots de départs. L’éponyme La fin de l’espèce s’avance comme le traumatisme du disque, où Fuzati débite de sacrées horreurs sur une boucle de piano toute calme. C’est le morceau jusqu’au-boutiste de l’album, le truc abusé, les phrases meurtrières, d’une cruauté folle.

Beaucoup de titres balanceront aussi des rimes cliniques sur le monde d’un trentenaire un peu (beaucoup) désabusé, à base de “Ne rien répondre aux connaissances quand on se retrouve pour un verre / Ce qui n’arrive plus trop souvent / C’est vrai qu’ils n’ont plus trop le temps / Et quelque part je les comprends / Entre le boulot et les gosses ils sourient peu mais sont heureux disent-ils / je ne sais pas s’ils se forcent” ou de diatribes qui ont traversé bien des cerveaux : “Entassé dans le métro avec d’autres pauvres qui se rassurent / En se disant que le trajet serait aussi long en voiture” sans oublier les vannes balaises « Ce n’est pas vrai mais tu es moche, donc ma réponse “oui je suis pris” ». A part parler de gosses, le mec se balade dans les rues d’un œil torve en maugréant sur tout ce qu’il déteste en étant à moitié défoncé. A l’écoute du disque on l’imaginerait presque faire le tour des pharmacies, haleine de bière devant la caissière, à peine la force de lâcher un merci.





Mais le titre le plus adulte, le texte le mieux branlé du disque, on le trouve sur Non-père. Sorte de négatif dépressif du Ton héritage de Benjamin Biolay, où Fuzati parle en deux couplets à ses deux “non-enfants”. Le premier couplet, le plus réussi peut être, où il s’adresse à son beau-fils, enfant né d’une autre semence et ne regardant jamais le narrateur comme un vrai père, voir à peine comme une machine à cracher des billets dans un magasin de jouet. Tu te prends le morceau dans la gueule. Deuxième couplet, on parle ici de l’enfant fait avec un autre, la demoiselle ne pouvant plus attendre de faire un gamin et devant se trouver un nouveau mec, vu que Fuzati n’a pas l’air super enclin à lâcher du sperme dans ce but précis (par contre, pour en coller dans les yeux, il n’y a pas de soucis). Entre déclarations forcément sincères et punchlines parfaites se muant en interrogation existentielles ( “Sommes nous civilisés si l’instinct bat les sentiments ?” ), le titre est réussi car semblant être le plus réaliste du disque, le plus modéré dans ses propos tout en restant extrêmement rude.

On pourra reprocher que l’album ne parle presque que de procréation, de baise et de taff. Mais qu’est-ce que la vie à 30 ans ? C’est le sexe, le boulot et les éventuels projets de fonder une famille. Le reste n’est accessoire, et en tant qu’instantané d’une période de vie, le disque ne pouvait pas traiter d’autre chose. Il balaie d’un regard crevé se qui se passe autour de lui, et nous le recrache. Le mec ne mange pas à tous les râteliers, et se concentre sur ce qui fait mal. Car le disque fait mal. Il fait grincer des dents. Il te cogne en pleine poire, et cela même si tu es habitués à ce genre de réflexions misanthropes via la littérature, tant les lignes de Fuzati sont violentes. Sur tous les morceaux c’est jour de paye, il distribue les taloches verbales sans discontinuer. Sur Vive la Vie on broyait du noir, ici c’est plutôt la vie en rouge : du sang partout, pas de temps mort dans cette croisade anti fœtus, le mec au fond de la classe s’est rebellé pour se transformer en faucheuse de la trentaine.

Et en plus d’avoir évolué sur les textes, le groupe te sort des productions de folies, comme si Fuz et Detect avaient trouvé la recette parfaite, après plus de dix ans d’expérimentations. On sentait déjà sur son Spring Tales qu’il y allait avoir de l’or du coté des instrues, mais pas à ce point. Chaque morceau est un tube en puissance (ce qui est d’autant plus paradoxale vu le contenu lyrical), et PAS UNE SEULE instrue est à jeter (là où l’on soufflait le chaud et le froid sur le premier Lp). Mieux, elles démontent toutes. Vraiment. Il faut écouter Volutes, Destin d’hymen, Jeu de massacre, (cette prod de fou furieux), Encore Merci, Au Commencement (superbe aussi) et les autres, c’est des putains de boucles parfaites, qui transpirent l’amour du vieux sample et du hiphop. D’autant plus que les samples vocaux sont plus presents. C’est super chaud, les rythmes sont parfaitement placés, la basse est toujours imparable, ça tape et te hache la nuque direct. Je ne vais pas décortiquer chaque morceau, bien trop compliqué, mais de ce point de vu c’est claque sur claque.






Avec notre regard d’adulte, on commençait à trouver Vive La Vie fendard. Et on s’attendait à un deuxième album désenchanté mais marrant, bourré de pirouettes lexicales et de métaphores pas piquées des hannetons, d’anecdotes et de punchlines à ressortir à ses potes. Que dalle. La fin de l’espèce est au contraire un album âpre et violent, aussi définitif qu’une cartouche de fusil à pompe dans le bide. Fuzati geignait prostré dans son coin, mais aujourd’hui, il nous crache à la gueule, droit comme un “i”. Le Klub des Loosers, avec ce disque, a assurément atteint un point de non retour, sans équivalent existant dans la démarche. Un disque qu’il est nécessaire d’écouter une fois, pour tomber amoureux ou vomir dessus. Mais ceux qui apprecient seront tous d’accord, le groupe opère un retour vraiment réussi, et balance une vraie bombe avec La Fin de l’Espèce, tant musicalement que dans l’écriture, superbement maitrisée.

Difficile de cautionner tout ce qui est dit dans ce disque, tant la violence et le dégout écorchent. Mais derrière cette véhémence se cache cette peur que beaucoup rencontrent autour de la trentaine, cette obligation omniprésente de devoir penser au futur, ces normes qui obligent à construire quelque chose, tout en écopant les premiers vrais problèmes d’adultes. C’est un disque à écouter au premier degré mais à prendre évidemment avec recul. Mais vu la qualité folle de cet opus, cela ne devrait pas être trop dur.






Klub des Loosers – Destin d’hymen






Klub des Loosers – Volutes (clip)






13 Titres – Les Disques du Manoir

Dat’

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  1. Dodochampion. Says:

    Bon, et bien on est d’accords à 200%. Difficile d’avoir un avis définitif sur un disque aussi froid, fataliste, mais je reste infiniment touché par ce que tente Fuzati sur un morceau comme “Non-Père” qui risque de rester dans les annales comme l’un des plus beaux morceaux du Klub, juste à côté de “Ne Plus Y Croire”. C’est génial les 2/3 du temps mais en même temps, on sent que cette maturité n’est que partielle quand on trouve des lignes un peu plus gratuites au fil de l’album – sur “Encore Merci” par exemple – ce qui me fait dire que le passage à l’âge adulte est pas encore maîtrisé jusqu’au bout et qu’on est dans un album transitoire entre Vive la Vie et un potentiel troisième LP à venir d’ici 2020. En dehors de ça et des quelques lignes borderlines de “l’Animal” ou “la Fin de l’Espèce”, le boulot est applaudi en grande pompe, et l’attente valait mieux qu’un deuxième Vive La Vie… Ou qu’un l’Impoli.

    On en profite pour lâcher un REP au bro Yannick Zicot qui a quitté notre bonne vieille Terre en février dernier, et qui était vraisemblablement encore proche du bougre.

  2. duanra Says:

    J’apprécie toujours autant vos chroniques.
    Merci d’avoir mis en avant le fait que les instrus sont géniales.
    L’amour de LA boucle se perd en France, c’est dommage.

  3. staphi Says:

    Album commandé, mais pas encore reçu, ta chronique fait très envie, comme d’habitude.

    J’avais adoré Vive la vie. Il tourne plus trop depuis un certain temps car je m’étais un peu lassé du flow et des textes que je trouve pourtant excellents, mais qui à forte dose pourrissent vraiment le moral. Bien que je m’envoie encore régulièrement “No futur” et “Orgasmic le toxicologue….” mes deux morceaux préférés de ou avec Fuzati.

    Ceci dit, maintenant que j’approche de la trentaine, je suis ravi que Fuzati revienne me pourrir le moral. Si en plus, les instrus sont bons…
    pour moi c’était le point négatif du Klub, les instrus. Surtout sur le EP “la femme de fer”. “des instrues qui flirtaient parfois avec le mauvais porno”, c’est exactement ça.

  4. Dat' Says:

    Dodo ==> Content de voir que je ne suis pas le seul à accrocher sur “non-père”. C’est clairement mon texte préferé du disque, et d’ailleurs le morceau pourrait donner des pistes sur le troisième et dernier album du Klub : Un truc plus posé, encore plus fataliste, encore plus dépressif et pragmatique mais moins hargneux et énervé.

    Duanra ==> Merci ! Obligatoire de mettre en avant les instrues et les boucles, tant ces dernières tuent. Effectivement, on pourrait croire que Fuzati a cherché pendant 8 ans les 13 boucles parfaites pour son album.

    Staphi ==> ouai, j’avoue, ce “Orgasmic le toxicologue” etait une claque, un texte énorme là aussi. No futur c’etait la classe, et j’espere d’ailleurs que le Gravité Zero 2 ne va plus tarder !

    sinon, JEU CONCOURS IMPOSSIBLE DES CHRONIQUES AUTO :

    A la toute fin de “Volutes”, il a une autre instrue pendant 10 secondes. Ce bout de sample a déja été utilisé dans un morceau electro-posé, je pense au debut des années 2000 (ou avant / apres). IMPOSSIBLE de retrouver le titre de ce morceau (que j’ai pourtant dans la tête), ça me bouffe le cerveau depuis que j’ecoute ce La fin de l’espèce.
    C’etait un morceau electro genre Telepopmusik ou Lemon Jelly, avec une voix feminine qui faisait “lalalala” dessus.
    Voila, j’imagine que c’est impossible à retrouver, mais c’est une bouteille à la mer. Pas que j’ai envie de réecouter le morceau, j’ai juste peur de devenir fou à force de chercher.

    Dat’

  5. Skowz Says:

    Putain… 8 ans après… Première écoute je fais la gueule jusqu’à la toute dernière rime de “la fin de l’espèce”, la phrase qui tue, la phrase qui dépasse les bornes. A partir de là, j’ai décidé de prendre Fuzati au sérieux. Et les écoutes suivantes c’est le pied, les textes se font découvrir peu à peu, au final rien à jeter, pris une à une chaque phrase est culte. Puis les instrus se révèlent. Les samples sont juste magnifiques: le digging poussé à l’extrême, le choix du sample parfait.

    Je ne vais pas surprendre en disant que l’évolution du Klub fait plaisir. Un Vive la vie II aurait été de trop, mais bizarrement c’est ce que j’attendais. Une belle surprise donc.

  6. Aeneman Says:

    Le disque tourne en boucle chez moi et pourtant je suis ultra allergique de manière générale au rap français. Je pense que les lyrics ultra ciselés et bien sombres me font un effet boeuf. Et les instrus derrière c’est juste affolant.

    Sérieux, je m’en remets pas.

  7. Maximus Says:

    C’est marrant comme finalement j’ai plutôt une réaction inverse en écoutant ce nouvel album. Peut-être ai-je trop évolué entre le moment de Vive la Vie que j’ai écouté en boucle à l’époque et l’heure actuelle où je ne me sens plus vraiment en phase avec l’évolution de Fuz’ ? Je me sens plus vraiment en adéquation avec le type, comme ces choses qui doivent rester dans le passé. C’est comme ces soirées où l’on retrouve ses vieux potes du lycée, on a plein de souvenirs en commun mais finalement on n’a plus grand chose à se dire maintenant.

    C’est peut-être ça prendre un peu de bouteille, chacun prend sa propre direction et les routes ne sont pas les mêmes… On ne peut pas blâmer Fuz’ pour ça, il n’a pas recyclé, il a évolué.

    Quand je l’écoute, je me retrouve plongé dans ces années à écouter “De la vie à la haine” “Ne plus y croire” et surtout l’inusable morceau qui me revient toujours en tête “BAISE LES GENS” (bayzer? Bayzer bayzer bayzer BAYZER) combien de fois je la chante encore au taf où dans les transports? Et j’ai du mal à écouter autre chose de lui, je ne sais pas comment dire.

    Enfin je vais quand même lui donner une chance, parce que les intrus font toujours du bien dans les oreilles et que certains morceaux (Non père est un chouette texte j’avoue) valent sûrement le coup d’oreille.

  8. Bluug Says:

    Marrant, pour Non Pere, la deuxième partie je la comprends surtout comme un mec stérile qui ne peut vivre un couple sans que l’envie d’avoir un enfant gâche le tout.
    Ce n’est pas juste qu’il ne veut pas, il ne peut pas.

    C’est encore plus touchant car ça reste une fatalité pour cet homme de ne pouvoir vivre heureux sans enfant.

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