Les Valseuses
Tame Impala, inconnu au bataillon il y a deux ans, avait réussi à se hisser en haut de pas mal de tops 2010 (dont le mien) grâce au splendide Innerspeaker, petit chef d’œuvre de pop psyché, électronique hallucinée et teintes vintages. Australien sur son passeport, le groupe alignait une musique catchy, immédiate, aux refrains imparables, faciles à chanter sous la douche. Sauf que le tout était plongé dans une mare de drogue absolument gigantesque, avec tout ce qu’il fallait de guitares qui crachent, de synthés qui dérapent et de couches noisy bien crades. Attention, c’était loin d’être je-m’en-foutiste à la Wavves ! Tout était chiadé à la perfection, taillé à la serpe, chaque bug sonore semblait avoir été bichonné avec plus de soin qu’un caniche de concours. Ecouter Innerspeaker, c’était comme se dorer la pilule sur un yacht en sirotant un cocktail plein de LSD. Ce premier opus était le synonyme parfait de l’expression “album de tubes viciés”.
Autant dire que ce Lonerism était foutrement attendu au tournant. Difficile de croire que Kevin Parker pouvait balancer un album aussi évident et lumineux que le premier disque, qui se devait de comporter au moins autant de bombes capables de nous dresser les cheveux sur la gueule. Sinon j’écris cette chronique après une nuit blanche complète, ça va être compliqué d’enfiler les mots les uns après les autres, mais cet état est parfait pour appréhender le LP.
Et autant dire que Lonerism ne commence pas de façon aussi ouverte et spontanée qu’Innerspeaker. Les deux premiers morceaux sabrent étonnamment ce que l’on préférait chez Tame Impala : au revoir les refrains à chanter après trop de bières, oubliez la mélodie facile que l’on va baragouiner dans le métro. Place aux textures folles, et à une construction flirtant avec l’expérimental. Be Above It, c’est en premier lieu un rythme cinglé. Des parasites bien ancrés dans le mille-feuille sonore. Et surtout, ces gros synthés qui explosent et t’en foutent plein la poire, façon voix lactée qui se rétracte sur elle même. Une voix hystérique à l’horizon repète ad-nauseam le titre de la chanson, métronome vocal hypnotique. Le chant se fait lui toujours langoureux et pop, tentant de se frayer un chemin dans ce concert de lasers électro. Ce morceau, c’est comme écouter les beatles donner un concert en pleine attaque finale de l’étoile noire.
Endors-toi (l’album a été en parti enregistré sur Paris) continue dans cette veine droguée, avec des guitares passées au Flanger comme s’il en pleuvait (cet effet étant surement le meilleur ami de Tame Impala) et des synthés (décidemment plus présents) qui déboulent de partout et rasent tout ce qui dépasse. Au milieu du morceau, notre chanteur perché commence à déclamer des phrases, sans raison, sans chorus, sans refrain, juste quelques lignes qui vont se faire emporter par une tempête d’effets psychés de guitares bien sales, les 30 dernières secondes te foutant d’ailleurs un sacré coup de pied au cul. Ok, on comprend donc que Tame Impala a profité de l’argent récolté lors de ses deux dernières années pour tenter de faire un maximum d’overdoses, et de mettre le tout en musique. On est perdu, mais c’est sacrement cool.
Et après ces deux gang-bang auditifs, Lonerism va partir sur quelque chose d’un peu plus cadré, rappelant la première galette. Apocalypse Dream nous sort une structure identifiable, avec couplets, hook et refrains. C’est beau, planant, grandiloquent, ça fait du bien. Ca pourrait paraître un peu sage après les deux brulots du dessus, mais c’est du tout bon. Par contre, on a un peu peur, car l’album rentre cabre un peu et nous emmène sur des terrains pas désagréables, mais trop inoffensifs avec Mind Mischief et Music to walk home back, sympathiques pop-songs vaguement brinquebalantes, un peu faciles, qui n’ont ni la dimension des tubes de Innerspeaker, ni la folie de l’ouverture du nouveau LP.
Alors forcément, on s’inquiète un peu, on espère que l’album ne va pas se ratatiner petit à petit, qu’il va réussir à se cabrer et nous balancer des trésors dans la tronche. On ne pouvait pas espérer mieux. C’est bien simple, à partir de Why Won’t They Talk To Me ?, on débarque dans LA portion affolante de l’album. Ce morceau d’abord, renoue avec le coté pop-sous-la-douche que sait si bien faire Tame Impala, en mâtinant le tout de claviers électro qui n’en finissent plus de monter vers les étoiles. On tape des mains, on dodeline de la tête, mais quand le refrain arrive, super mélancolique, beau comme la mort, on est juste trop haut. Merde, ce truc, tu as envie de le chanter partout, avec le sourire, en allant au boulot, monté sur une licorne rose avec des petits soleils accrochés au cul. 3min30, c’est vraiment superbe, bourré d’émotion, imparable, sans compter cette dernière explosion à filer la frousse. Ce morceau a tout pour plaire.
Feels Like We Only Go Backwards est encore plus pop-cristalline, presque tire-larmes avec ce coté voix perdue dans la brume, John Lennon imprimé sur un buvard, soleil, plage et pipe à crack. Il n’y a rien de spécial hein, c’est surement du déjà entendu, du déjà fait, c’est ultra référencé 60’s… sauf que c’est absolument parfait. Le refrain est parfait, l’instrue est parfaite, et les détails fourmillent de partout. Ce morceau, tu vas l’avoir collé dans le cortex pendant des journées entières, il va s’infiltrer sous ta peau, dans tes poumons, dans tes viscères. Pour te coller des papillons partout dans le ventre, et c’est bien ça le plus important.
Keep On Lying, c’est un peu là même chose, en tout aussi réussi. Le morceau semble avoir commencé depuis des lustres quand il file dans nos oreilles. Pas d’introduction, pas d’entame, on débarque directement dans cette complainte ultra mélancolique, avec des motifs qui se répètent à n’en plus finir, et des voix qui copulent comme en 69. Les guitares arrachent le cœur tellement elles sont belles. Tu entends des rires, des conversations, valse de field-recording sur fond de mélodie fragile, c’est de toute beauté. C’est comme si tu avais pris du LSD sur un quai de gare, que tu arrivais à capter toutes les conversations des voyageurs, qui formeraient un tout, une bulle de phrases partant dans tous les sens, avec un rock band derrière pour assurer l’ambiance. C’est absolument sublime. Graduellement, le monstre foule et ses hystériques palabres tend à s’effacer, remplacé par une mélodie jouée cent fois, avec des instruments différents à chaque fois. Le bad-trip semble poindre, la mélopée se casse parfois la gueule, tangue, boite et te prépare la grosse mandale du morceau : un solo de guitare qui arrache comme jamais, bordélique, camé jusqu’à l’os, c’est indescriptible, ça part dans tous les sens. Et quand la guitare se déchaine sur la dernière minute, c’est l’orgasme absolue, la jouissance suprême, tu te prends à faire le guitar hero en sautant comme un dingue au milieu de ton appart. Le morceau va repartir comme il est arrivé, il n’y a pas de fin, pas de conclusion, le tout s’efface au milieu d’un couplet. Comme si Tame Impala venait de nous offrir un instantané, une photo, un bout de vie qui n‘aurait ni naissance ni mort. Un diamant absolu.
Histoire de bien te finir la mâchoire à coup de pelle, le groupe balance carrément le plus gros tube du disque, Elephant, fresque vandale ahurissante sortant les guitares et basses bien dégueulasses : c’est juste imparable, tube de stade, mélodie sublime, effets sonores dingues. Dès que le solo démarre au bout d’une minute trente, on n’est même plus sur terre tellement c’est épique, Tame Impala nous envoie combattre le crime sur Saturne, on se sent bien, on se sent plus fort que la mort, près à défier le soleil, à foncer droit dans les flammes. Sérieux, comment définir ce passage absolument insensé vers les 2min20 ? Une mandale monumentale. Les voisins n’ont pas fini de hurler sur les mois à venir, tant on ne peut résister à l’envie de passer cette bombe H24 à fond les ballons.
Nothing That Has Happened So Far Has Been Anything We Could Control, calmera le jeu avec son synthé fragile, ses voix complètement cramées par la drogue et les milliers de détails qui semblent se faufiler dans tous les interstices de la chanson. On va encore partir dans une overdose de Flanger histoire de bien nous ramollir le ciboulot et nous faire perdre tout repère temporel. La deuxième partie, qui va flirter avec l’electro sexuelle en slow motion, plongée dans une orgie de cassures en tout genre (on passe en revue toute la pédale à effets là) finira de nous achever et de nous laisser pour mort dans un lit de psychotropes. Malheureusement, après cet enchainement de morceaux proprement hallucinant, après cette brochette qui peut se résumer par le mot « bonheur », la conclusion Sun’s Coming Up gâche un peu le trip. C’est le seul plantage du disque, balade au piano désagréable et inutile.
Sincérement, ce disque est une bombe. Arrivant à être plus riche que son prédécesseur, tout en gardant ce coté imparable et pop, Lonerism nous prend par la main pour nous emmener dans des territoires que l’on osait même pas espérer. C’est psyché comme jamais, c’est beau, lumineux, mélancolique… Tu as des solos de guitares qui butent, et des synthés électro qui défoncent.
Bon, ok je te l’accorde, au bout d’une demi-heure d’écoute, tu as déjà envie de filer en cure de désintox. Mais quand le trip est beau, pas moyen de refuser le voyage. Car sur certains morceaux, ce Lonerism est sidérant.
Un putain d’exploit, une des gemmes de 2012.
Tame Impala – Elephant
Tame Impala – Endors Toi
12 titres – Modular
Dat’
This entry was posted on Tuesday, October 9th, 2012 at 2:59 pm and is filed under Chroniques. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.
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Innerspeaker a pris son temps pour devenir un de mes indispensables. Je découvre ces jours-ci Lonerism, il ne devrait pas tarder à rejoindre son prédécesseur. L’apport des synthés, la splendide exagération de la prod, bien évidement les morceaux eux-même… <3
Oui c’est tout à fait ça… moi aussi au départ, je trouvais Innerspeaker un peu hermétique. Puis un jour, grosse baffe, je me prends ces refrains ultra catchy en pleine figure, impossible de m’en passer. J’ai pas assez paré des synthés beaucoup plus présents sur ce deuxième opus, c’est vrai que ça rajoute pas mal à la recette, ça en devient encore plus épique…
En tout cas ce Lonerism sera forcement dans mon top 2012 !
Dat’
Pareil 😉
Cette 2e moitié 2012 est plutôt pas mal du tout du tout du tout :
– ce Tame Impala magistral
– Rephlex qui sort enfin les Kendrick et Perälä
– le 3 ou 4e Ty Segall de l’année (en espérant qu’il soit aussi bon que Slaughterhouse),
– si on a de la chance le nouveau Flaming Lips (et si oui, ça transforme 2012 en ma meilleure année rock depuis quoi, 2000 et les ATDI et QOTSA sortis cette année là ?)
– le Legowelt qui a l’air absolument mortel (http://soundcloud.com/clone-nl/legowelt-the-paranormal-soul)
– et mon lp fini avant la fin du monde
Bah ça fait un joli semestre 😀
Album incroyable c est agreable de voir leur recette évoluer tout en gardant la meme ame. Et puis cette voix a un truc de melancolique de drogué ca me donne des putains de frissons !
Nil ==> Ahaha finalement les Kendrick et Perala sortent en CD ? genre 2 ans après? Il y a des petits marrants chez Rephlex… Je pensais que c’était abandonné…
Le Flaming Lips je l’attends méchamment… Et effectivement pour le Legowelt, il a l’air mortel !!
Et vive la fin du monde alors !
Gee ==> Yes c’est tout à fait ça !
dat’
😉
Et il y’aurait même un autre Kendrick, Steel Erector, à sortir incessamment sous peu. Ce qui avec Rephlex ne veut absolument rien dire.
Le CD2 du Kendrick est franchement cool en tout cas : dans la continuité de la release digitale d’il y’a 2/3 ans. Pas encore eu le temps de vraiment écouter celui du Perälä en revanche : un mélange d’Astrobotnia et de ses trucs récents, assez abstrait et deep. Mais bon, c’est une joie d’avoir enfin une copie physique de ces 2 disques.
Le Lips était annoncé pour l’automne, jamais vraiment eu de confirmation depuis… mais je veux y croire. Avec Embryonic, ils sont clairement devenu un de mes groupes préférés/culte/top 3. D’ailleurs, c’est leur mixer/producteur attitré qui s’est également occupé du son d’Innerspeaker et Lonerism : ça s’entend et c’est parfait ainsi !
Je vais voir, avec un peu de cul je vais pouvoir trouver les versions physiques du Kendrick et Perala en magasin !
dat’
Tu verras, ils ne se sont pas foulés niveau packaging…
Quant au Steel Erector : http://www.normanrecords.com/records/136996-jodey-kendrick–steel-erector
[…] A lire : La chronique de l’album sur Chroniques Automatiques >>> […]
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creature but what the author fails to mention are the obvious wing-like appendages seen protruding from the back of the creature in the image presented.
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