Grischa Lichtenberger – And IV (Inertia)


Equation


Ca faisait un bail que je n’avais pas fait un tour du coté de chez Raster-Noton. Autrefois ultra fan des LP d’Alva Noto, Ryuchi Sakamoto, Ikeda ou SND, j’au un peu laissé tombé le label, avec cette recrudescence de disques en mode bruits blancs vs silence qui me passionnaient de moins en moins (alors que le tout me fascinait plus jeune), même si quelques galettes prenaient un peu les chemins de traverse.

Grischa Lichtenberger avait tout pour me gonfler à première vue : une pochette ultra classique qui n’attirera l’œil de personne, un nom imprononçable et surtout, cette vilaine manie de balancer un tracklisting illisible, désincarné et froid, avec des tracks aux noms composés de chiffres et autres rébus absurdes pour mathématiciens. Pourtant, le bonhomme frappe fort dès l’oreille posé sur ses productions.








Car il faut le dire, le disque impressionne par sa maitrise du “son”, avec un grand S. Ca se nécrose dans tous les sens, ça pulse comme une artère de camé en manque, ça vrille et fuse dans tous les coins. Les morceaux, passés sur de belles enceintes, sont parfois ahurissants dans leur architecture, dans ces détails distillés avec une préciosité sans pareil. Mais contrairement à pas mal de disques en mode expérimental froid inoffensif, Grischa Lichtenberger distille dans ses pièces abstraites une bonne dose de techno imparable.

Apres trois ou quatre morceaux fortement dépouillés déboule Uu78, un putain de tube, mandale industrielle pouvant retourner un dancefloor zombifié, à base de beats écorchés et mélodie flirtant avec le magma métallique de fin du monde. Ca cassera bien des cerveaux, et n’importe quel Dj prenant le risque de passer un morceau pareil sera pendu sur la place publique, mais bordel, ça décrasse les oreilles. Juste après 0112_01_Lv_! viendra lui aussi faire le ménage avec un clavier évident, techno de cave bousillées par des attaques androïdes. Le basculement sur un rythme ultra sourd, faisant presque office de palpitant, façon à travers un mur de béton avant de repartir comme en 40, tabasse par son coté imparable, et impressionne dans le sound-design. C’est d’ailleurs quand ces deux notions, souvent antinomiques, se rejoignent, que le disque s’envole dans les nuages. Le coté répétitif, froid, mais dansant, pourra renvoyer à Untilted, avec une petite dose de binaire supplémentaire pour ravir les esgourdes. Même quand le disque s’enfonce dans des tirades ultra expérimentales, fascinantes dans l’agencement des sons, Grischa file des claques avec ce petit coté rentre dedans. La tristesse d’un 1011_27_# 5b, aux râles hypnotiques, est contrebalancé par l’aspect massif des machines roulant sur elles mêmes, coulée de lave avalant tout sur son passage. Le bonheur.

Et les exemples sont nombreux le long de cette vingtaine de morceaux. 1210_08_Lv_4+ et sa mélodie aigue sur rythme claudiquant pourrait faire penser à du Gescom remixant un VHS Head qui se serait envoyé tout Lain en une nuit. Même chose pour l’excellent 0111_05_Z Red qui semble être le cadavre d’un morceau dance-deep passé à tabac dans une impasse crade.  Rearr Re traumatise en te filant une presse industrielle en pleine crise d’hystérie, crachant au milieu du maelstrom une litanie qui glace le sang (on le répète, mais le morceau est ici aussi absolument hallucinant en terme de production). 0311_01 Re 0510_24 fera claquer les fouets avec un rythme lapidaire, laissant à peine quelques cris de claviers s’exprimer, grillés par des zébrures hypnotiques façon serpent à sonnette métallique sautant à la gorge de quelques notes désaccordées. Et après trois minutes de cataclysme, le morceau va vriller sur une fin plus concrète, histoire de bien te flinguer la gueule.

Grischa s’autorisera même quelques instants sous anesthésie, notamment sur 1011_11104_V_Re_61011s1b, surement le plus beau morceau du LP, laissant (enfin) une mélodie tire-larmes survivre et prendre le dessus sur le chaos névrotique du disque. Oh, évidemment, des explosions tenteront bien de mettre à mal ce moment de recueillement, mais sans jamais réussir à tout annihiler. L’ambiant Ssfl fera lui aussi bien le boulot, sur plus de 6minutes.

Mais le disque a un défaut, et de taille : c’est le bordel, c’est bien trop chargé et éclaté, et c’est impossible à bouffer d’une traite. A dire vrai, ce And IV (Inertia) souffre presque du même mal que le Quaristice d’Autechre, en moins grave néanmoins. On te balance un tracklisting d’une vingtaine de morceaux, dont la moitié n’ont ni queue ni tête, s’arrêtant sans crier gare ou partant dans la démo de plug-ins. On échappe donc pas aux vignettes un peu vide de sens, frôlant l’esbroufe sculpturale (0811_09 Re 0611_29_Lv_1b ou 91028_V1) ou les flatulences de machines sans intérêt (66 Audio, Sysolrot…), sans oublier (et c’est pire) les idées pas finies, les peintures non finalisées donnant des tracks ultra frustrantes (pourquoi arrêter le superbe 0811_11_Re_0411_08_Mas_Rm3 après une minute trente ? Quel gâchis… Ou Globalbpm qui s’annonce monstrueux, mais qui ne dure même pas 60 secondes…)





Et c’est bien le problème. Grischa aurait pu sortir un des disques de l’année s’il s’était limité à 10 gros titres de 5 ou 6 minutes, bien sélectionnés, plutôt qu’à un gargantuesque essai de 22 tracks sur 70 minutes. Car certains morceaux du LP sont grands, affolant dans leur construction sonore comme dans leur façon de tabasser frontalement.

Ce LP n’invente rien, et pourrait passer pour une sortie Warp et affiliés, très marquée Gescom ou Autechre début 2000, en mode reboot via les techniques actuelles, donnant un coté presque nostalgique au disque (non voulu ?). Mais ce petit coté rentre dedans, qui pourra porter certains morceaux de ce And IV sur des dancefloors courageux, transcende le tout, et lui donne une sacrée plus value face aux LP des laborantins lambdas sacrifiant l’émotion pour le tout technique.

Une jolie baffe donc, dont l’impact est malheureusement grandement atténuée par le coté disparate et excessif du disque. Mais dans l’ère du numérique où la playlist itunes est reine, on ne pourra s’empêcher d’écrémer le disque et de sélectionner en priorités les jolies bombinettes techno-experimentales distillées dans ce LP de Grischa Lichtenberger. Une sortie à ne pas manquer pour les oreilles en manques d’explosions déstructurées et autres cathédrales électroniques.









22 titres – Raster-Noton

Dat’

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  1. kzrdt Says:

    Encore une fois, tu vises très juste. L’album est malheureusement trop inegal pour s’écouter d’une traite malgré quelques petits perles. Le second morceau m’a immédiatement fait penser à un morceau d’Autechre sur Chiastic Slide, certains gimmicks de Hub ou une autre, je n’arrive plus à retrouver laquelle précisement. Sinon le dernier Pmpdj défonce.

  2. Dat' Says:

    Oui c’est clair que certaines sonorités font vraiment penser à du Autechre… Perso, J’ai eu Untilted et Chiastic dans la tête pour les sonorités, et Quaristice pour la structure de l’album…

    dat’

  3. Jafs Says:

    Salut Dat. Tout comme toi, il m’a énormément fait penser à Untilted. Par contre, je n’ai pas vraiment eu de problème à l’écouter dans son entièreté malgré les choix regrettables que tu soulignes très justement. Ca ne l’empêche pas d’être une des meilleures sorties Raster-Noton de ces derniers temps, et de loin.

  4. Dat' Says:

    Mince Jafs, j’ai modéré mon propre commentaire sans faire gaffe u__U

    Bon j’étais d’accord avec toi de toute façon ahah

    dat’

  5. Jafs Says:

    Rassures-toi, j’ai eu le temps de le lire avant ton accès de schizophrénie rédactionnelle!

  6. Debora Says:

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